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Notre protégé s’en tira fort habilement. Il décida que, par égard pour la France, les fêtes auraient lieu, et qu’on omettrait seulement les cérémonies nécessitant les insignes qu’il n’avait pas. Nous ne pouvions exiger davantage. Aucun doute ne pouvait s’élever sur la bonne foi du roi, qui avait réuni autour de lui tous ses gouverneurs de provinces. L’occasion était bonne pour faire ressortir aux yeux de ceux-ci ce qu’avait d’étrange la conduite du gouvernement de Bangkok, et il fut facile, en intéressant leur amour-propre dans la question, de détourner sur la cour de Siam, déjà impopulaire, le coup qu’elle voulait nous porter. Les fêtes eurent lieu en effet, ainsi que la cérémonie religieuse appelée svettrachat ou élévation du parasol, qui consiste à placer au-dessus du trône un parasol à cinq étages, et qui est presque aussi nécessaire pour compléter un roi que l’imposition même de la couronne. Ravi de voir pour la première fois au-dessus de sa tête cette sorte de quintuple diadème, Norodom s’écria dans un transport de reconnaissance et de joie : « Je considère l’empereur des Français comme mon père et l’amiral comme mon frère ! » Il aurait pu ajouter que Siam s’obstinait à vouloir être sa mère, mère exigeante et rusée qui n’abandonnait pas l’espoir de supplanter les mâles de la famille. Le lendemain, Norodom vint à bord de la Mitraille vêtu d’un uniforme d’officier de marine en drap assez frais, aux manches couvertes de broderies. Il portait en outre un pantalon blanc, une lourde casquette ornée jusque sur la visière d’une large broderie, un ceinturon doré, un sabre à poignée d’ivoire de forme européenne, et, comme protestation contre les exigences de l’étiquette qui l’emprisonnaient dans une telle tenue, des pantoufles, une chemise de fantaisie semée de fleurs roses et une cravate nouée négligemment. Le roi était d’humeur joyeuse, se permettait même de plaisanter les Siamois. « Préparez le riz, disait-il à ses mandarins, accroupis autour de lui selon l’usage, les Siamois arrivent ; or vous n’ignorez pas qu’ils viennent ici sans provisions. » Et la cour d’applaudir à la gaîté du maître. Norodom ne croyait pas dire si vrai.

Notre grand ennemi Phnéa-rat, qui était en effet chargé d’apporter la couronne, débarquait à Compot au moment où la mission française arrivait elle-même à Houdon. Le Siamois apprit que plusieurs officiers venus de Saïgon, tout en contribuant par leur présence à l’éclat de la cérémonie, lui imprimeraient en quelque sorte un caractère français. Cette idée lui parut intolérable, il prit sur lui de renvoyer la couronne à Bangkok, et s’arrêta sur la route de Houdon pour n’arriver dans cette ville qu’après le départ de M. Des-moulin, chef d’état-major de l’amiral de La Grandière. Phnéa-rat conçut sur-le-champ un plan nouveau et hardi au moyen