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C’est la manière de jurer obéissance et fidélité. Il s’agissait donc encore une fois pour Norodom de se déclarer sujet de Siam et simple gouverneur du Cambodge. Sur ces entrefaites, des matelots français pris de vin causèrent quelque désordre dans la ville et jusque dans la maison de la mère du roi. Le mandarin siamois exploita cet incident, en augmenta les proportions, et finit par obtenir de Norodom effrayé la promesse de se rendre à Compot. Il s’empressa de répandre cette nouvelle, de parler de l’eau du serment, et n’omit rien de ce qui pouvait compromettre le roi. Satisfait d’y être parvenu, il s’empressa de quitter Houdon, laissant M. de Lagrée aux prises avec des énigmes, et Norodom plus embarrassé que jamais, n’osant ni parler ni se taire, lié des deux côtés par des traités, et réduit à jouer un rôle passif entre deux adversaires plus forts que lui, avec lesquels il avait tour à tour signé des engagemens contradictoires.


III

Peu de jours après le départ du Siamois, Norodom profita de sa liberté pour se rendre à bord du Gyadinh. Il essaya d’être expansif ; mais son courage ne put lui faire dépasser les demi-confidences. « Je connais Siam mieux que personne, dit-il aux officiers du bâtiment ; on vous y craint, on ne vous y aime point. Ne croyez pas qu’on ait à la cour de Bangkok de l’aversion pour les Anglais. On les pousse au contraire autant qu’on est poussé par eux. Depuis plus d’un an, les Siamois m’engagent à faire un traité avec l’Angleterre, et l’on m’a fait récemment à cet égard de nouvelles ouvertures. Le roi de Siam ne désire ma présence à Compot que pour essayer d’agir sur moi par l’influence religieuse. C’est lui qui à Bangkok m’a revêtu de l’habit des bonzes, je suis son filleul en religion, et c’est un lien puissant dans nos deux pays. S’il tarde à venir à Compot, la saison ne me permettra plus d’entreprendre ce voyage, et je m’en réjouirai, car je ne le ferai qu’à contre-cœur. Quand on veut m’arracher une promesse, un acte ou surtout une signature, je refuse en disant que je suis dominé par vous. » Il n’avait pas toujours trouvé la force de résister, et cette dernière phrase cachait un cuisant remords. Ses paroles témoignaient d’ailleurs d’une vue assez claire de la situation, et ses calculs, où il entrait plus de prudence que de dignité, apparaissaient tous les jours avec plus d’évidence. Enfin le 11 janvier 1864 ou apprit qu’un bateau à vapeur siamois venait de mouiller à Compot. Le roi donna immédiatement des ordres pour son départ. Ce voyage était un échec pour notre politique, et M. de Lagrée cherchait le moyen de l’empêcher quand il