Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/872

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

essaya de prouver que ce plénipotentiaire, dans ses conférences avec le gouvernement siamois, avait toujours reconnu la vassalité du Cambodge. Cette assertion était dénuée de tout fondement. Il suffit de raconter les faits pour le constater. Cette petite digression rétrospective aura un autre avantage, elle fera voir à nu les ressorts qui mettaient en mouvement la politique siamoise.

M. de Montigny ayant exprimé l’intention de faire un traité de commerce avec le Cambodge, non-seulement on ne lui fit aucune opposition, mais encore on lui conseilla de s’emparer, au nom de la France, de l’île de Phu-Quoc, située en face du port cambodgien de Compot, dans le golfe de Siam, et peuplée d’Annamites. Évidemment les hommes d’état siamois avaient cherché de cette manière à susciter entre Français et Annamites un conflit dont ils auraient profité. D’un côté, le roi de Siam écrivait à M. Miche, aujourd’hui évêque de Saigon, pour le prier de mettre au service de M. de Montigny ses lumières, sa connaissance du pays et de la langue ; de l’autre, il faisait dire secrètement au roi du Cambodge que, s’il avait le malheur de traiter avec les Français, il s’en repentirait. Le roi Ong-duong, sur la nouvelle de l’arrivée de l’ambassade française, avait ordonné de réparer la route entre Houdon et Compot, et s’était préparé à faire à M. de Montigny une réception magnifique ; mais il conçut une véritable épouvante à la lecture de la lettre venue de Bangkok. Quand il apprit que le même navire qui conduisait le plénipotentiaire français portait aussi un agent du roi de Siam, sa terreur ne connut plus de bornes ; il se garda bien de venir à Compot au rendez-vous qu’il avait donné, et commença immédiatement sa visite annuelle aux pagodes pour que M. de Montigny ne le rencontrât pas dans sa capitale, s’il se décidait à venir le chercher jusque-là.

Puisqu’en 1855 il fallait employer secrètement les menaces pour empêcher Ong-duong de traiter avec nous, on lui reconnaissait donc le pouvoir de le faire. Pourquoi le successeur d’Ong-duong serait-il déclaré déchu d’un droit qu’avait son père ? Après avoir été longtemps contraint de souffrir l’intervention de Siam dans ses affaires, le roi de Cambodge nous avait, par une convention librement consentie, créé des droits et des devoirs contre lesquels les protestations du gouvernement siamois demeuraient désormais sans valeur.

Le général Phnéa-rat, qui était allé conduire Phra-kéo-féa à Bangkok, avait conquis un tel ascendant sur le roi que nous n’aurions probablement pas aussi aisément réussi, s’il fût resté à Houdon. Heureusement il n’y avait laissé que son frère, mandarin de peu d’influence, qui, se tenant à l’écart, exerçant de loin une surveillance inactive, ne sut rien prévoir ni rien empêcher. Quand il apprit que la convention était signée, il se sentit blessé cruellement