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pour ne pas douter un peu du désintéressement qu’elle affecte, en témoignant à Siam tant de sollicitude. Ses éclatans succès dans le passé autorisent tous ses rêves d’avenir ; elle s’irrite de rencontrer sur son chemin des rivaux qu’elle croyait avoir pour jamais expulsés de l’Asie. De Moulmein, elle guette déjà Bangkok, et, ne pouvant prendre elle-même le Cambodge, elle s’efforçait d’enrichir un ami dont elle se croyait assurée d’hériter. En attendant, on se ménageait la facilité de nous entourer d’ennemis dans notre nouvel établissement. Il y avait plus encore : le royaume du Cambodge commande la vallée inférieure du Mékong ; une batterie placée sur la pointe de la douane fermerait au commerce le passage des quatre bras de ce fleuve, et nous ne pouvions admettre que la prospérité de notre colonie de Saigon, appelée à réunir un jour dans son port tous les produits de l’intérieur, dépendît absolument d’une nation étrangère qui, conseillée comme elle l’était, devait nous être le plus souvent hostile. Ces considérations étaient décisives, et l’indépendance du Cambodge dut apparaître bientôt comme une condition essentielle au développement et presque à l’existence de la Cochinchine française. Dans l’état de faiblesse où se trouvait réduit le royaume, l’indépendance était impossible sans un protectorat. Les droits de suzeraineté de la France, substituée à Tu-Duc, étant dès le principe au moins égaux à ceux de Siam, nous pouvions les déclarer les uns et les autres éteints par compensation. Un traité nous créerait des droits nouveaux et exclusifs, Siam serait définitivement écarté. C’est vers ce but que durent se diriger tous les efforts des officiers français, devenus diplomates.

Un chef cambodgien, Senong-sôo, l’oncle du roi Norodom, avait cherché un refuge sur notre territoire pour échapper aux Siamois, et le premier ministre de Siam adressa immédiatement à l’amiral Bonard une demande d’extradition qui ne fut point accueillie. Cet acte dut faire réfléchir la cour de Bangkok sur nos intentions à l’égard du Cambodge ; il ouvrit en quelque sorte les hostilités. Pour amener Norodom à traiter avec nous, il importait de marquer une différence entre la manière dont nous entendions user du protectorat qu’il nous accorderait et la façon oppressive dont le roi de Siam exerçait son humiliante suzeraineté. Il ne pouvait être question pour nous ni d’hommages ni de redevances ; nous n’avions qu’un résultat à atteindre, l’autonomie du Cambodge. C’est selon cet esprit que furent dirigées toutes les négociations. Le roi d’ailleurs en désirait depuis longtemps l’ouverture ; il avait l’instinct que Siam se relâcherait de ses exigences le jour où il lui faudrait compter avec nous. Pour les mêmes raisons, cette dernière puissance redoutait l’intervention française, et le général siamois Phnéa-rat, logé aux portes