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l’alphabet cambodgien, exclusivement employé dans la suite pour écrire les livres de religion. Il résulterait de là que le Cambodge aurait, à certains momens de son histoire, englobé dans ses frontières élargies la plus grande partie de l’Indo-Chine. Je ne chercherai pas plus longtemps à remonter le cours ténébreux des âges. Une chose est certaine, le passé du Cambodge a été fort brillant. De gigantesques ruines en ont porté jusqu’à nous le glorieux témoignage, et nous n’avons pas tardé à en trouver la confirmation durant notre séjour au Laos. Dans un pays tributaire de la Birmanie et très voisin de la frontière de Chine, un vieux bonze nous interrogeait avec avidité sur le sort du Cambodge, qui portait dans ses livres le nom de Tepada-Lakhon, ou royaume des anges. Quant aux Cambodgiens eux-mêmes, ils ne savent rien de leurs origines et rien de leur histoire. Déchus comme ils le sont, ils n’imaginent pas que leurs pères aient été capables de construire les monumens dont les ruines couvrent le sol de leur pays. M. de Lagrée, qui les a constamment interrogés sur ce point durant un long séjour, finit par obtenir d’un bonze réputé très savant le nom du fondateur d’Angcor. Quand il voulut comparer ce nom avec ceux qu’il avait recueillis déjà, il s’aperçut qu’il n’avait d’autre valeur qu’une épithète de fantaisie signifiant en français architecte du ciel. Nous ignorions absolument nous-mêmes, au moment de notre arrivée en Cochinchine, non-seulement le passé, mais encore l’état présent du peuple cambodgien, et un premier examen de la situation du royaume conduisit à découvrir dans la nature de ses rapports avec ses voisins un obstacle sérieux à la légitime extension de notre influence dans l’Indo-Chine.


II

Le Cambodge renferme aujourd’hui une population qui atteint à peine un million d’âmes. Encore faut-il comprendre dans ce chiffre 40,000 esclaves et 20,000 sauvages habitant les montagnes, où ils jouissent en fait d’une sorte d’indépendance. Ce petit royaume, moins peuplé que certains départemens français, ne pouvait par lui-même être pour nous un péril ou devenir même une cause de souci ; mais le droit des gens tel qu’on le professe en Europe est chose fort peu connue en Orient, et le Cambodge confine à Siam, voisin relativement puissant qui lui a pris des provinces en employant tour à tour la force et la ruse. La cour de Bangkok et celle de Hué convoitaient toutes deux ce qui restait de ce royaume démembré. Dès 1795 en effet, le roi de Siam avait enlevé du Cambodge le jeune Ang-eng pour le soustraire aux violences de ses sujets