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joug, ni le joug de la loi turque, ni le joug des milices musulmanes. Spahis et janissaires, naguère encore accoutumés à piller les habitans des villages, n’obtenaient plus rien qu’en payant ; à la moindre menace, un signal éclatait, et les Serbes accouraient de tous côtés. On vit parfois des populations entières, la faux ou le bâton à la main, conduire aux autorités turques des pillards déjà énergiquement châtiés, et comme ces autorités avaient ordre de ne pas provoquer de soulèvement, il fallait bien que la justice suivit son cours.

Ainsi, dès les premières années de ce gouvernement issu de la volonté populaire, le prince des Serbes, non reconnu par Mahmoud, avait assuré l’indépendance de la Serbie sous les yeux mêmes du lieutenant de Mahmoud. On devine aisément la fureur concentrée de Maraschli-Ali ; sentant qu’il n’était pas de force à lutter contre Milosch, il méditait de sinistres desseins. Milosch au contraire, plus actif que jamais, poursuivant son but sans se cacher, concevait chaque jour des ambitions nouvelles. Il voulait que l’indépendance de fait acquise au pays serbe fût confirmée par une décision du sultan. L’article 8 du traité de Bucharest contenait sur ce point des promesses qui n’étaient pas encore réalisées ; Milosch ne l’oubliait pas, et, sans se hâter d’invoquer un acte dont le souvenir irritait le sultan, il se réservait de faire retentir ce nom à l’heure décisive comme une menace vengeresse. Au printemps de l’année 1820, il envoya deux députés à Constantinople pour obtenir de la Porte la nomination d’un commissaire impérial chargé de régler définitivement l’indépendance des Serbes. Milosch était si confiant dans la justice de sa cause, qu’il fit demander au pacha de Belgrade des lettres de recommandation pour ses députés. « N’y compte pas, répondit Maraschli-Ali ; je ne me mêle plus de tes affaires. C’est en vain d’ailleurs que tu t’adresses à Constantinople. Puisque nos concessions ne font qu’augmenter les exigences des Serbes, la Porte est résolue à ne plus se montrer si généreuse. » En même temps le pacha ourdissait une conspiration pour se débarrasser de Milosch : il annonça aux chefs des milices turques, janissaires et spahis, que le prince des Serbes, non content d’avoir obtenu tant de privilèges interdits aux raïas, avait formé le projet de leur enlever leurs fiefs militaires, de les dépouiller de tous leurs biens, de chasser tous les Turcs du pachalik de Belgrade. Était-on sûr qu’un tel homme n’arracherait pas au divan quelque faveur nouvelle ? Le plus court était d’en finir avec lui. Les négociations pendantes devant amener Milosch à Belgrade, les spahis convinrent de l’assassiner le jour où il entrerait dans la ville. Les dispositions étaient prises, les rôles distribués ; si le complot échoua, c’est que Milosch fut prévenu. Des Turcs plus ou moins initiés à la conspiration eurent peur des