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d’empêcher l’anéantissement de la patrie, il protège les Serbes en les contenant ; puis, quand ce rôle est devenu impossible, quand il faut recommencer la lutte ou périr, il appelle la nation aux armes, se jette sur les Turcs, tantôt comme un chef de haïdouks, tantôt comme un général consommé, leur tue des milliers d’hommes, les frappe d’épouvante, les refoule dans les forteresses, finit par leur imposer la paix, et, dégageant le pays, obtient pour les Serbes le droit de vivre à leur guise, première condition de l’affranchissement complet qu’il ne cessera de poursuivre. Il y a désormais deux peuples en Serbie, — d’un côté les milices turques, occupant les principales villes et surtout les forteresses, — de l’autre la nation serbe, qui reprend possession d’elle-même du Danube aux Balkans et de la frontière bosniaque a la frontière bulgare. Les Turcs ont pour chef le pacha de Belgrade, vice-roi du sultan Mahmoud ; le chef de la nation serbe est Milosch. Milosch n’était d’abord que le knèze d’une province, reconnu et même institué comme tel par le gouvernement turc ; au mois de novembre 1817, les évêques, les knèzes, les kmètes, pour affermir son autorité dans la lutte qu’il soutient tous les jours contre le vice-roi de Belgrade, lui confèrent d’une voix unanime le titre de kniaze, c’est-à-dire de prince des Serbes. Ce vote du mois de novembre 1817 n’avait encore qu’une force morale, c’était une désignation et un vœu plutôt qu’une proclamation définitive ; treize ans après, le titre idéal est devenu un titre réel, la principauté de Serbie est consacrée par un hatti-chérif de Mahmoud, la transmission du pouvoir est assurée aux héritiers de Milosch Théodorovitch Obrenovitch, et dans toutes les églises du pays serbe les cloches, condamnées au silence depuis la fuite de Kara-George, éclatent en joyeuses volées. Comment la principauté morale de 1817 est-elle devenue en 1830 une principauté effective ? Tel est le sujet de notre étude.


I

Si le vote du mois de novembre 1817 ne donnait qu’un titre moral à Milosch Obrenovitch, prince des Serbes, ce titre aux mains d’un tel homme devenait immédiatement une force. Maraschli-Ali, toujours occupé à reprendre aux Serbes les concessions qu’il avait été obligé de leur faire, savait désormais que Milosch avait derrière lui tout un peuple. Le tendeur de pièges[1] toutefois ne se découragea point ; il y avait encore parmi les Serbes tant d’intérêts troublés, tant de causes de dissension, c’est-à-dire tant de moyens de

  1. C’était, on l’a vu précédemment, le nom que les Turcs donnaient au rusé Maraschli. !