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aux ruses et aux violences du despotisme pour consolider l’affranchissement de son pays. Tel nous allons trouver Milosch, rusé, violent, tournant ou brisant les obstacles, procédant à une œuvre libératrice avec les allures d’un despote oriental, se faisant presque Turc pour arracher la Serbie aux Turcs, mais avec cela puisant dans sa patriotique ambition les conseils d’une politique profonde et les talens d’un organisateur consommé. Sur ce point même, nous pouvons en dire plus que le prince Michel. Quand le fils de Milosch écrivait les paroles que nous venons de citer, le fondateur de la dynastie des Obrenovitch avait été renversé du trône par une révolution ; quelques années après, en 1858, une révolution nouvelle détrônait le fils de Kara-George, et la nation entière rappelait le libérateur de 1815. Cet élan unanime des Serbes ne contenait-il pas l’absolution de l’ancien despote et la reconnaissance éclatante des services qu’il avait rendus ? Nous n’avons donc qu’à suivre les indications des événemens pour faire en toute sûreté la part du bien et celle du mal.

La carrière politique de Milosch se divise en quatre périodes. La première commence en 1813, au moment où Kara-George abandonne son poste, et finit en 1817, alors que la Serbie, sauvée de la ruine, arrachée à la mort par le dévoûment et le génie du vainqueur de Poscharévatz, lui décerne une sorte de principauté idéale, je veux dire une principauté qui n’existe que dans le cœur des Serbes, puisque la Turquie ne la reconnaît pas encore. De 1817 à 1830, c’est la seconde période. En 1817, les représentans de la Serbie ont donné à Milosch le titre de kniaze ; en 1830, la Turquie confirme ce titre et le déclare héréditaire dans la famille des Obrenovitch. La troisième période, qui s’ouvre à cette date, se termine par la révolution de 1839 ; Milosch, précipité du trône, a pour successeur un de ses fils, le jeune prince Michel, qui bientôt lui-même, victime de ressentimens implacables et d’intrigues ténébreuses, est remplacé par le fils de Kara-George, Alexandre Kara-Georgevitch. Enfin, après les seize années du gouvernement du prince Alexandre, le vieux Milosch, à soixante dix-huit ans, est rappelé de l’exil en 1858 ; avouant ses fautes, promettant de meilleurs jours, il revient, au milieu des acclamations populaires, prendre en ses mains vigoureuses encore les affaires de la nation serbe, et meurt deux ans plus tard (1860) sur le trône qu’il a fondé.

C’est la seconde de ces périodes que nous avons à raconter aujourd’hui. Dans une étude précédente, on a vu, de 1813 à 1817, éclater la figure extraordinaire de l’ancien porcher de la Schoumadia[1]. D’abord soumis aux vainqueurs, car son premier devoir est

  1. Voyez la Revue du 1er janvier.