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n’a pas encore d’enfans, est-ce que la royauté d’un prince italien en Espagne ne serait pas une source de dangers pour les deux pays ? L’Italie n’y gagnerait rien, la maison de Savoie elle-même n’y trouverait pas un avantage réel ; elle s’exposerait uniquement à exciter ces ombrages, ces défiances, qui font l’embarras et souvent le péril des dynasties envahissantes. L’Espagne de son côté n’a rien à espérer d’une combinaison qui ne ferait que compliquer les relations des deux peuples en les plaçant tous les deux dans une position suspecte vis-à-vis de l’Europe. Et c’est ainsi que, par cette élimination qui s’accomplit lentement depuis quatre mois, on est ramené en face de la candidature qui semble avoir aujourd’hui le plus de chances au-delà des Pyrénées, celle du duc de Montpensier.

Elle est très vivement combattue, elle est très vivement soutenue aussi, cette candidature. Elle alimente depuis quelque temps toutes les polémiques, et elle va se présenter maintenant devant l’assemblée constituante avec la question même de la république ou de la monarchie. C’est après tout l’affaire de l’Espagne de se prononcer, de savoir à quel degré du thermomètre elle en est. Dans tous les cas, ce qui est pour elle une nécessité évidente, supérieure, c’est d’arriver enfin à clore ce provisoire où elle se débat depuis quatre mois, à constituer un gouvernement. On a parlé d’un directoire ou triumvirat, qui était particulièrement désiré par M. Rivero, parce que l’ancien chef du parti démocratique devait y figurer entre Prim et Serrano. Aujourd’hui ce triumvirat semble abandonné. Prim, qui avait d’abord caressé cette idée, ne se soucie plus de quitter le ministère de la guerre, et Serrano se soucie encore moins de se voir enfermé dans ce tête-à-tête avec Prim, fût-ce en ayant M. Rivero pour intermédiaire. C’est dire que les divisions intimes qui ont paralysé pendant quatre mois le gouvernement de Madrid sont loin d’avoir cessé ; elles sont dans la nature des choses, et c’est pour cela que l’Espagne a un intérêt plus direct, plus pressant, à régler sa propre destinée. Le vrai danger serait que l’assemblée constituante, dans ces conditions exceptionnelles d’un interrègne où elle se trouve placée, passât six mois ou un an à voter une constitution avant de se prononcer sur le gouvernement définitif du pays. Pendant ce temps, tout s’aggraverait rapidement, et l’Espagne, au lieu de retrouver la paix dans des institutions libérales, n’aboutirait qu’à de nouvelles incertitudes qui feraient d’une révolution avortée le commencement de révolutions sanglantes.


CHABLES DE MAZADE.