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philosophie allemande et devenues des foyers de propagande intellectuelle ; il avait des journaux, la Discussion, la Democracia, où il soutenait des idées fort nouvelles en Espagne avec un éclat inattendu, et il commençait surtout à faire irruption dans la politique, à prendre l’allure d’un parti d’action. Sans se subordonner aux progressistes, qu’il dépassait par ses tendances, déjà il entrait avec eux dans l’insurrection de 1866 ; il apparaissait en un mot comme un élément nouveau dans la politique, comme un allié nécessaire dans les révolutions qui pourraient s’accomplir ; mais enfin, au moment même de la dernière insurrection, c’était encore une petite minorité qui semblait peu en mesure d’exercer sur les événemens une influence décisive. Aujourd’hui, on n’en peut plus douter, il est devenu assez puissant pour tenir en échec le gouvernement, même pour lui livrer bataille, et il a pesé sérieusement sur les élections. Il a pris de toute façon une importance réelle. Est-ce par la popularité de ses idées, par suite du progrès des opinions républicaines en Espagne ? Le parti démocratique s’est scindé, il est vrai, et une fraction conduite par M. Rivero est allée vers la monarchie ; mais ce que je veux remarquer ici comme le phénomène caractéristique de ces derniers mois, c’est le progrès du groupe républicain pur, qui n’a pas suivi M. Rivero, qui est resté indépendant, poursuivant plus que jamais la réalisation de ses idées.

Le parti républicain a grandi tout à coup par un ensemble de circonstances qui devaient merveilleusement le servir, et la première de toutes ces circonstances a été la politique même suivie par le gouvernement. S’il n’a pas été l’acteur le plus décisif de l’insurrection de septembre, il était après tout le plus logique dans cette révolution qui commençait par renverser une monarchie sans avoir à offrir à l’Espagne une monarchie nouvelle représentant ses libérales aspirations. Rien ne pouvait lui être plus favorable que cet état d’incertitude où la royauté n’existait plus, où survivait seule une république de fait. La difficulté de choisir un prince, les antagonismes qui veillaient autour de ce trône vide, tout cela faisait sa force, et plus le provisoire se prolongeait, plus il avait le temps de remuer le pays, de faire briller à ses yeux tous ces programmes de république fédérale, de liberté universelle, de diminution des impôts, d’abolition du recrutement militaire. Le général Prim avait dit : « Pour faire une république, il faut des républicains… Dans notre situation actuelle, rien n’empêche cette fraction de l’Espagne de propager librement ses idées, et si elle arrive à convaincre la nation de l’excellence de ses doctrines, celle-ci satisfera ses aspirations… » Les républicains ont relevé ce défi, et ils ont répondu par l’agitation, par des manifestations auxquelles on n’avait à opposer qu’une volonté nationale problématique. Une