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Au premier bruit de cette insurrection dont on ne savait, rien encore, mais dont on pressentait bien la gravité, l’émotion fut vive à Saint-Sébastien, et comme toujours ce que la reine avait négligé de faire lorsqu’il était peut-être temps encore, elle se décidait enfin à le tenter quand il n’y avait plus de remède. Elle se hâtait alors d’appeler le général José de La Concha, qu’elle nommait président du conseil, et qu’elle envoyait à Madrid avec tous les pouvoirs possibles, en restant pour le moment elle-même dans les provinces basques. Quant au dernier cabinet, on ne peut dire ce qu’il devint. Une chausse-trape s’ouvrit, et il disparut. On n’en eut plus de nouvelles, si ce n’est qu’à l’arrivée du général Concha à Madrid, après une première entrevue, les ministres laissés en arrière par M. Gonzalez Bravo ne prirent même pas le temps de rentrer chez eux et allèrent droit au chemin de fer, partant pour la France. Au moins en 1854 M. Sartorius avait lutté pendant vingt jours ; M. Gonzalez Bravo ne tint pas vingt minutes devant la nouvelle du mouvement de Cadix. Ce qu’il y avait de plus clair, c’est que dès ce moment tout se concentrait sur trois points, en Andalousie, où campaient les insurgés, — à Madrid, où était le général Concha, — à Saint-Sébastien, où restait la reine, attendant son destin.

L’insurrection, quant à elle, se déployait avec une vigueur croissante. Je ne parle pas du général Prim, qui, partant de Cadix avec quelques frégates, allait longer la côte et paraître à Carthagène, à Valence, à Barcelone, sans trouver l’occasion d’une action sérieuse. Dans l’Andalousie même, le général Serrano, resté du premier coup maître de Cadix et de Séville, n’avait pas d’abord de grandes difficultés à vaincre. Secondé par Caballero de Rodas, Izquierdo, Salazar et quelques autres, il organisait son armée, qui comptait une dizaine de mille hommes, et il la poussait sur Cordoue. En quelques jours, à vrai dire, l’Andalousie tout entière était à la révolution, une révolution qui avait pour elle non-seulement l’impulsion de tous les ressentimens coalisés, la complicité de tous les instincts comprimés, la séduisante apparence d’un mouvement libéral, mais encore des forces régulières assez sérieuses pour soutenu’ une campagne. Et pour faire face à cette révolution grandissante, dont le souffle commençait à remuer l’Espagne au nord comme au midi, que restait-il ? Un gouvernement doutant de lui-même, usé par les excès de réaction et les caprices de cour, un pouvoir coupé en deux au moment du danger, n’étant ni tout à fait à Madrid ni tout à fait à Saint-Sébastien, une reine perdue dans l’opinion qui avait l’air de fuir le combat, et un premier ministre sans collègues, sans alliés, arrivant tardivement sur un terrain miné de toutes parts.