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donner pour l’emporter loin des côtes d’Espagne ? — Je le sais, répondit Isabelle. — Et votre majesté n’a pas hésité à venir ici ? — Je n’ai pas hésité, reprit la reine avec bonne grâce, parce que je te sais un caballero, et je suis sûre que tu ne commettras pas un acte de déloyauté. — Allons, répliqua le capitaine, il ne sera pas dit que votre majesté se sera fiée à moi pour rien ; mais elle ne sait pas ce que je fais en ce moment. » Et après ce court entretien la reine redoubla de grâce et d’amabilité, elle voulait combler l’officier de faveurs, cherchant partout une plaque pour le décorer. On a beau être un conspirateur, on n’est pas insensible à cette hardiesse d’une femme qui vient à votre bord en se sachant menacée et aux politesses d’une reine. Isabelle II, qui aurait bien pu effectivement être enlevée, si certains projets eussent été mis à exécution, Isabelle put revenir à terre toute joyeuse de sa visite, se moquant plus que jamais de ses conseillers effarés et croyant peut-être avoir reconquis la marine parce qu’elle venait d’échapper à un danger. Le capitaine de la Zaragoza avait été séduit. Il est vrai que peu après, reparti pour Cadix avec sa frégate, il n’était pas moins un des premiers à se prononcer. La reine avait eu là un bon billet.

Isabelle II, pour tout dire, se donnait le change par ces diversions, et il y en avait une en ce moment dont elle caressait la pensée avec un intérêt singulier. Elle attendait avec impatience l’arrivée de l’empereur et de l’impératrice des Français à Biarritz pour aller les voir. A d’autres époques, elle avait montré moins d’empressement. Elle n’avait jamais été particulièrement enthousiaste de ces visites impériales et royales, contre lesquelles plus d’une raison la mettait en garde, et en 1867, pendant l’exposition, elle avait cédé sans peine aux conseils de ceux qui la détournaient de venir à Paris grossir le cortège des royautés européennes. Cette fois il y avait plusieurs raisons qui la portaient à désirer une entrevue. La première, la plus apparente, c’était la brillante hospitalité que ses enfans, la comtesse et le comte de Girgenti, venaient de recevoir à Paris et à Fontainebleau. Isabelle s’en montrait reconnaissante et le témoignait avec effusion ; mais il y avait un autre motif plus sérieux, tout politique. En définitive, la reine, même en ouvrant son esprit à bien des illusions, ne pouvait se méprendre entièrement sur sa situation ; elle se sentait en danger, et elle en était venue à espérer beaucoup d’une entrevue avec l’empereur. Qu’en attendait-elle ? C’est là la question. S’étourdissant sur toutes les autres causes de ses dangers, vivement et presque uniquement excitée depuis quelque temps contre le duc de Montpensier, elle ne voyait que son beau-frère dans tous les complots qui la menaçaient, et par ce côté elle croyait naïvement l’empereur intéressé à la soutenir, à la