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une grave, une étrange explication. L’infante doña Fernanda aurait dit plus ou moins ouvertement à Isabelle II que ni elle ni son mari ne pouvaient approuver la marche du gouvernement, qu’ils voyaient bien qu’on marchait à une catastrophe, qu’ils ne conspiraient pas, qu’ils ne feraient rien, qu’ils s’abstiendraient de toute démarche tant que la reine serait sur le trône, mais que, si par malheur la reine venait à être renversée, ils ne reconnaîtraient aucun héritier direct et qu’elle serait elle-même obligée alors de se souvenir qu’elle était infante d’Espagne. La confidence était étrange à coup sûr, et n’était pas propre à arranger les affaires entre les deux sœurs. La reine en fut naturellement froissée et embarrassée ; elle fit part de cette conversation à un petit nombre de personnes, qui furent aussi embarrassées que la souveraine pour décider ce qu’il y avait à faire, et Isabelle finit par ne rien dire ou par dire à sa sœur qu’elle pouvait rester à Madrid tant qu’elle voudrait en s’abstenant désormais de lui parler d’affaires politiques. Ce n’était pas moins une singulière question qui venait de se poser dans l’ombre, qui caractérisait la situation, et le cabinet de Madrid s’en souvenait, je pense, lorsque quelques mois plus tard il exilait le duc et la duchesse de Montpensier, au risque de leur donner ostensiblement le caractère de prétendans.

D’un autre côté, sans chercher ses combinaisons dans le même ordre d’idées, le général O’Donnell, aux derniers momens de sa vie, s’était demandé plus d’une fois, lui aussi, ce qu’il y avait à faire. Ce n’était pas un grand libéral que le général O’Donnell, j’en conviens, ou du moins le libéral en lui se ressentait toujours un peu du soldat ; mais c’était, même en politique, un homme de vigoureuse trempe, ayant du sang-froid, de l’autorité, capable de s’attacher à un dessein, et réalisant plus que tout autre peut-être en Espagne le type de chef de parti. Lorsque la reine l’avait si cavalièrement évincé du ministère en 1866, après la bataille de juin, il avait senti que, s’il restait à Madrid, le cabinet qui lui succédait aurait peut-être la tentation de se défaire de lui en l’envoyant aux Canaries, et il s’était retiré en France. Il n’était d’aucun complot, il ne se mêlait à aucune conspiration ; il attendait, l’œil fixé sur l’Espagne, ne laissant ignorer à personne qu’il n’était point un émigré, qu’il serait là quand il le faudrait, et nourrissant déjà une idée qui dénotait un esprit politique de quelque vigueur.

Une révolution, à ses yeux, était inévitable, cela n’était pas douteux, et la reine serait emportée à la première bourrasque. Quant à lui, il déclarait tout haut qu’il n’accepterait plus le ministère des mains d’Isabelle II. Seulement il fallait se préparer à conduire cette crise le plus légalement possible, à faire en quelque sorte une