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fois tout est emporté au premier souffle ; de la reine et de la dynastie, il ne reste plus rien.

Ainsi dans cette carrière une sorte de fatalité semble conduire au dénoûment. La révolution de 1854 apparaît à la lumière des événemens comme une ébauche prématurée de celle de 1868, ou, si l’on veut, ce mouvement foudroyant de 1868 est une révolution de 1854 mieux réussie et allant jusqu’au bout. Et pourquoi l’insurrection de 1868 a-t-elle pu aller plus loin que la révolution de 1854, pourquoi a-t-elle été plus heureuse que toutes les insurrections qui se sont succédé dans ces dernières années ? Parce que tout s’est progressivement compliqué dans l’intervalle, parce que la décomposition s’est poursuivie avec un redoublement d’intensité, parce qu’on n’a rien fait pour profiter de ce répit laissé à un pouvoir déjà ébranlé, de telle façon qu’à l’heure fatale de la crise la royauté a trouvé devant elle non plus seulement ses ennemis avoués et irréconciliables, mais encore ceux-là mêmes qui l’avaient sauvée une première fois des conséquences extrêmes de la révolution de 1854, ceux qui la soutenaient la veille, qui la défendaient contre les dernières insurrections. En réalité, ces quatorze années ont été employées, tristement employées à user le dernier prestige de la royauté bourbonienne, à grossir autour d’elle le faisceau des hostilités, à familiariser les partis et la nation elle-même avec l’idée d’un inévitable changement dynastique.

Je voudrais résumer d’un trait le long et profond travail par lequel a été préparée la catastrophe suprême de cette monarchie, qui était le prix du sang de l’Espagne nouvelle, qui, pour rester fidèle à elle-même, pour garder sa force, sa popularité, ne devait être que libérale, constitutionnelle : on a tendu depuis longtemps à en faire une monarchie semi-absolutiste avec les formes décevantes d’un régime parlementaire sans vérité, et dans cette résurrection équivoque d’un absolutisme choquant ce n’est certes pas les souvenirs d’Isabelle la Catholique qu’on a fait revivre, c’est le règne d’un Charles II ou d’un Charles IV qu’on a recommencé, avec des nonnes, des confesseurs et des dévotions pour compenser ou voiler le reste. Il en est résulté ce régime attaqué à la fois dans son autorité politique et dans son autorité morale. Par son caractère même, Isabelle II n’a peut-être pas peu contribué à aggraver sa situation. Cette reine que dans son enfance, lorsqu’on se battait pour elle, on nommait l’innocente, qu’on a depuis appelée quelquefois Isabelle la contrariée, cette reine n’était pas dénuée de finesse dans l’esprit et d’un certain sentiment espagnol ; malheureusement, comme bien d’autres, elle avait à la longue l’infatuation du pouvoir, une infatuation toute féminine.