Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/794

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La royauté d’Isabelle II n’avait presque rien à faire pour garder sa popularité, pour rester une médiatrice respectée entre les opinions. Elle a voulu se jeter dans la mêlée avec ses fantaisies et ses caprices : elle y a perdu son prestige d’abord, son autorité ensuite. Les partis qui la soutenaient se sont divisés et usés. Les ennemis se sont multipliés, s’exilant eux-mêmes d’une légalité sans garanties. Les questions dynastiques, qui n’existaient pas, se sont élevées peu à peu, et sont entrées comme un élément nouveau dans la politique espagnole. Un parti démocratique ou républicain s’est formé et a grandi dans la mesure même de la décadence morale de la monarchie, et c’est ainsi que la royauté en Espagne s’est trouvée conduite à cette situation où pour se défendre elle n’a plus eu qu’un système de réactions outrées en présence d’insurrections toujours menaçantes et toujours, aggravées. Entre les partis poussés à bout, on le pressentait bien, il ne s’agissait plus d’un ministère ; il s’agissait désormais de la dynastie elle-même, devenue l’enjeu de la première révolution qui éclaterait. Au-dessous de cette lutte engagée dans les sphères politiques, le pays restait impassible et sceptique, hésitant à sortir de son apathie, accoutumé d’ailleurs à voit des généraux venir trancher du bout de leur épée ces inextricables complications, et à ne jouer lui-même que le rôle de figurant dans les insurrections espagnoles.

Rien ne peint mieux cette aggravation croissante, cette décadence agitée de tout un régime, que quelques dates de l’histoire contemporaine de la péninsule. En 1848, au moment où l’incendie est partout en Europe, le feu pénètre aussi un instant en Espagne ; une tentative est faite à Madrid, à Séville, mais elle est à peine sérieuse : elle se brise contre la royauté d’Isabelle, encore dans sa jeunesse et dans sa popularité. En 1854, nouvelle tentative, victorieuse cette fois, et née de la situation même de l’Espagne. Cette insurrection de 1854 était tout au moins un sévère et dramatique avertissement ; elle montrait comment une révolution pouvait être faite par d’autres que des révolutionnaires, par des hommes qui la veille encore passaient pour des conservateurs, et qui maintenant mettaient sur leur drapeau les mots de liberté et de moralité. Cependant rien n’était perdu encore. La royauté était déjà visiblement compromise, il est vrai, elle était signalée tout haut comme entourée d’une « camarilla déshonorante ; » elle gardait toujours néanmoins de profondes racines, elle avait des défenseurs énergiques, des ennemis trop peu nombreux ou trop peu puissans pour l’abattre, et elle sortait à peu près intacte d’une bourrasque où elle semblait d’abord près de disparaître. Quatorze ans s’écoulent encore ; le 18 septembre 1868 éclate une révolution nouvelle, et cette