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destinée à une assemblée constituante, et plus que jamais saisi de doute à mesure que s’est approché le moment de la réunion de cette assemblée, image de la confusion universelle.

Au seuil de ces événemens qui sont pour l’Espagne le point de départ d’une ère nouvelle et inconnue, qui du premier coup ont emporté une monarchie, un souvenir revient invinciblement à l’esprit. Il y a trente ans bientôt, un matin de 1839, deux généraux, les chefs de deux armées en présence, Espartero et Rafaël Maroto, se trouvaient réunis sous un toit obscur, dans une campagne du pays basque, entre Durango et Elorrio. Ils se rencontraient clandestinement pour mettre fin à une effroyable guerre, pour débattre entre eux les conditions de ce qui allait s’appeler le convenio de Bergara. C’était en apparence une transaction, ou du moins celui qui agissait sans l’aveu de son maître, Maroto, fit ce qu’il put pour que ce fût une transaction ; en réalité, c’était la défaite de la cause carliste par la soumission de tous ses chefs, Urbistondo, Fulgosio, Lasala, Lersundi, qui sont passés depuis sous les drapeaux de la reine ; c’était la victoire définitive de la cause d’Isabelle II. Depuis six ans, on se battait à outrance dans toute une partie de l’Espagne, dans les vallées basques comme dans les montagnes de la Catalogne, dans le Maeztrazgo, du côté de Valence, comme dans la Navarre. L’Espagne s’épuisait dans cette guerre sans merci, toute pleine de représailles sanglantes. Deux choses survivaient à la lutte, l’autonomie des provinces basques, garantie par la paix, et la royauté d’Isabelle, pour laquelle tout ce qu’il y avait de jeune et de libéral au-delà des Pyrénées venait de se battre. C’était là ce dont il s’agissait dans cette entrevue d’Espartero et de Maroto, réunis un matin sous un toit inconnu pour décider par la paix ce que la guerre ne pouvait trancher.

Trente années sont passées, qu’est-il arrivé ? Parmi tous ceux qui se battaient en ce temps-là pour la reine, parmi les défenseurs de la cause victorieuse, les uns sont morts, les autres ont vieilli. Il y en a eu de fusillés, il y, en a eu de proscrits. O’Donnell s’est éteint dans une sorte d’exil. Narvaez est mort premier ministre à la veille d’une révolution nouvelle. Serrano, qui était un jeune et brillant colonel en 1839, et qui a joué bien d’autres rôles auprès d’Isabelle II, est le chef nominal d’un gouvernement provisoire qui a renversé la reine. Prim, qui n’était rien pendant la guerre civile ou qui n’était encore qu’un petit officier, est aujourd’hui une façon de dictateur, se demandant peut-être s’il sera le premier ministre d’un roi nouveau ou le chef d’une république. Le vieux négociateur de la paix de Bergara, Espartero, sur son déclin, va reparaître dans une assemblée constituante, où son nom ne