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élevé, sérieux* un noble élan, rien de commun ni de banal ; mais le poème aurait-il cette sorte d’intérêt qui soutient l’attention ? ne serait-il pas d’une clarté douteuse, voisin de la métaphysique ? Quel en serait d’ailleurs le sujet ? , serait-ce une satire, un dithyrambe, une élégie ? Tout en nous faisant ces questions, nous prêtâmes l’oreille à M. de Laprade, car c’était l’auteur de Psyché qu’il s’agissait d’entendre. A peine eut-il dit quelques vers, c’en était fait de nos appréhensions, nous étions sous le charme. Une introduction bien conduite, franchement dessinée et en pleine lumière nous avait transporté au pied du mont Pila, dans ces campagnes du Forez où les sombres grandeurs de la nature alpestre et les rians trésors d’une terre cultivée semblent se donner la main. Nous entrions, non pas seulement dans un pays, au sein de deux familles : de vivans personnages s’agitaient devant nous. Ce n’était plus cette fois les ruisseaux et les chênes que le poète faisait parler ; c’était des hommes, des campagnards, et si l’effet de la cadence, si l’harmonieuse sonorité du vers ennoblissaient un peu plus que nature et les paroles et ceux qui les prononçaient, ce n’était pas aux dépens de la vérité humaine qui sous ce voile transparent n’en apparaissait pas moins.

Nous ne saurions dire l’émotion que produisit en nous le début de ce petit poème, à la fois rustique épopée, idylle dramatique et savant paysage. Les yeux fixés sur ce vallon couronné de montagnes, paré de moissons et de pampres, nous assistions aux fiançailles de Pierre et de Pernette, deux cœurs des anciens temps, deux naïves figures, l’une grande et belle jeune fille, pieuse, innocente et courageuse, ménagère accomplie, l’autre hardi laboureur, plein de foi, d’audace et d’intelligence. Ces deux amans marchant à travers les blés, appuyés l’un sur l’autre et s’oubliant en longues causeries, pendant que leurs vieux parens, protecteurs de leurs jeunes amours, en les voyant venir du haut de la colline, s’entendent sur les apprêts de leur noce prochaine, tout cela dit en vers d’une facture originale et, bien que descriptifs, constamment attachans, n’était-ce pas une rare fortune en ce temps où la simplicité, la grâce et le bon goût ne savent guère où se loger, en vers aussi bien qu’en prose ?

Jusque-là, cette charmante bucolique n’était pour nous qu’un récit idéal, n’appartenant à aucun temps ; le lieu seul de la scène nous était indiqué, la date restait en blanc Était-ce il y a cent ans, était-ce il y a deux jours que se passaient ces fiançailles ? Tout à coup le poète nous le dit, et en donnant ainsi un cadre à sa peinture il fait prendre à ses personnages un relief tout nouveau. Ces braves gens, pendant qu’ils se complaisent à fonder le bonheur de ce charmant ménage, n’entendent pas la foudre qui gronde sur leurs têtes. L’empereur, car ils vivent sous le premier empire, l’empereur a remporté une victoire insigne, ce qui veut dire qu’il lui faut à l’instant cent mille hommes de plus. Exemptés, libérés, anciens et nouveaux conscrits, tout doit marcher. Déjà deux fois Pierre