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quoi un auditeur se levait et demandait si on ne pourrait pas trouver un moyen de faire payer les acheteurs par les vendeurs. Ce candide logicien aurait du succès au Vieux-Chêne ! Ce n’est pas bien sérieux, nous en convenons. Sait-on cependant ce qui résulte de ces exhibitions, de ce réveil « d’idées et dépassions qu’on croyait éteintes ? » On offre au gouvernement une occasion trop facile de se présenter comme le protecteur nécessaire des intérêts alarmés, et de se montrer en même temps plus libéral que ceux qui lui reprocheront peut-être dans quelques jours au corps législatif d’être trop tolérant. On jette la division et l’incertitude partout où devrait être l’union, surtout le bon sens, et c’est ainsi qu’on prépare les élections prochaines, pour lesquelles le gouvernement a trouvé tout à coup des auxiliaires aussi efficaces qu’ils sont involontaires.

Au milieu de ces confusions qui compliquent tout, ce que nous voudrions pour notre part, c’est qu’il se formât un parti libéral et rien que libéral, acceptant simplement les alliances qui s’offrent sans aller rechercher celles qui se refusent, et comptant avant tout sur sa propre force, sur l’ascendant de ses idées. Il y a quelques années déjà que M. Thiers, dans une inspiration de bon sens, levait en plein corps législatif le drapeau des « libertés nécessaires. » Et qu’entendait-il par là ? Il voulait dire qu’avant de se disputer sur des mots, sur des formes, sans dissimuler ses dissentimens sur d’autres questions où on peut très légitimement différer et même se combattre avec vivacité, il y a un premier bien commun à tous. Autrefois, lorsque la question italienne s’agitait dans les esprits et qu’on ne pouvait pas même prévoir ce qui est aujourd’hui une réalité, un des patriotes les plus sincères et les plus intègres, le comte Balbo, commençait son livre sur les Espérances de l’Italie par ces mots : porro unum est necessarium. Une chose est avant tout nécessaire, c’est l’indépendance. — La liberté est pour nous le nécessaire, non pas évidemment cette liberté dérisoire des cerveaux troubles qui ramène toujours les répressions, mais une liberté réelle, effective, sérieusement pratiquée, implantée dans nos institutions comme dans nos mœurs. Qu’on nous comprenne bien, nous ne voulons pas que ce parti libéral où peuvent se rencontrer sans effort tous les esprits sincères soit à son tour exclusif ; nous demandons au contraire que le terrain de nos luttes ne soit pas rétréci, qu’on ne lui donne pas pour frontières une rancune ou un ressentiment dans le passé et dans l’avenir une utopie. C’est le moyen d’être battu, dira-t-on. Nous ne savons pas si ce parti libéral dont nous parlons sera battu ; mais au moins le pays saura qu’il existe, il saura qu’il y a des hommes sentant comme lui, s’inspirant de ses vrais instincts, prêts pour toutes les crises, disposés à sauver sa liberté des agitations stériles et des compressions sans garanties.

C’est un fait bien connu que, sous les régimes d’omnipotence administrative trop prolongés, plus on s’éloigne de Paris, du centre de direction, plus les inconvéniens se font sentir. Qu’est-ce donc lorsqu’il s’agit