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responsabilité ministérielle qui s’impose sans être reconnue, que M. le comte de Ludre revendique dans une brochure spirituellement impartiale qui porte le titre singulier de Napoléon IV. C’est ainsi que se mêlent, s’entre-choquent à tout propos ces tendances diverses, l’une poussant le gouvernement en avant, l’autre le retenant sur la pente : lutte bizarre, qui est dans la nature des choses encore plus que dans la volonté des hommes. Laquelle des deux tendances prévaudra ? Les élections auront sans doute une influence décisive sur cette question.

Après cela, nous en conviendrons, dans nos affaires contemporaines tout n’est pas de nature à décourager les idées de réaction, qui ne se tiennent pas pour vaincues, qui ont encore plus d’une citadelle où elles se défendent. Si l’unité n’est pas dans le gouvernement, elle n’est pas beaucoup plus dans les partis qui seraient cependant intéressés à marcher d’intelligence, à s’inspirer d’un intérêt public supérieur. Depuis longtemps déjà, dans notre malheureuse et mobile France, nous avons connu toutes les déceptions ; nous avons passé par tous les régimes, ils nous ont tous manqué : ou ils n’ont pas tenu ce qu’ils promettaient, ou ils n’ont pu résister au premier choc, et on aurait pu croire que de cette douloureuse expérience nous avions au moins tiré quelque fruit ; on aurait pu penser que nous nous étions accoutumés, sous la rude discipline des épreuves communes, à mettre au-dessus de tout la liberté. Eh bien ! non ; il y a des milieux où l’expérience n’a servi à rien, et en laissant à cette parole ce qu’elle a de particulièrement officiel on peut avouer qu’il y a du vrai dans ce que l’empereur disait l’autre jour, qu’on avait vu « reparaître des idées et des passions qu’on croyait éteintes. » Elles n’étaient tout au plus qu’assoupies ou voilées, et c’est ce qui prouve combien il est vain de croire qu’on pacifie par le silence. Les lois sur la presse et sur les réunions ont produit cet effet étrange : elles ont ramené dans la discussion publique des esprits passionnés et exclusifs qui ne reconnaissent rien, n’admettent rien, qui vivent tyrannisés par un idéal politique étroit, en dehors duquel l’histoire n’existe plus. Ils ne veulent pas être des sectaires, ils ont raison, c’est une marque de leur sincérité ; ils le sont cependant sans le vouloir, si on appelle sectaires ceux qui poussent le zèle de leurs idées jusqu’au fanatisme, et qui sacrifieraient tout à leur chimère, sans faire eux-mêmes le plus léger sacrifice à ce qui est possible. Ils ne se l’avouent pas, et au fond ce n’est pas la liberté qu’ils revendiquent ; pour eux, ce n’est pas une question de liberté qui s’agite, c’est une question de gouvernement ; ils ont tout simplement l’ambition d’imposer leur gouvernement, et ils seraient hommes à reconnaître qu’ils ne sont qu’une minorité, il est vrai, mais que la majorité doit subir leur loi, qu’ils ne souffriront pas un autre système que celui qu’ils préfèrent. Il n’y a pas bien longtemps encore, un des plus aimables, des plus spirituels et des plus éloquens républicains de l’Espagne nous disait avec une naïveté charmante qui