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ment fait pour illustrer cette situation. Il a déjà fait le tour du monde, il a été interrogé, scruté, commenté, comme toutes ces paroles de sphinx lancées de temps à autre à l’Europe. Ce qui prouve qu’il était habilement conçu, c’est qu’en ayant toutes les allures d’une explication nette et sans réticence il n’a découragé personne. Les uns y ont vu la paix, les autres y ont découvert et y découvrent chaque jour encore la guerre en perspective. Ceux-ci ont trouvé dans les paroles impériales une sanction nouvelle de la politique libérale du 19 janvier 1867, ceux-là se sont retirés avec la confiance que rien n’était changé, que le gouvernement n’était pas près d’abdiquer son omnipotence, et se réservait toujours un droit supérieur sur l’expérience qui se fait aujourd’hui.

Le discours de l’empereur est habile en effet, et on peut dire que c’est un des meilleurs que le chef du second empire ait prononcés dans une carrière où les discours n’ont pas peu servi à sa prodigieuse destinée. Il est en situation, il aborde nettement les questions avec cet optimisme naturel des pouvoirs doués d’une grande confiance en eux-mêmes, mais aussi sans dissimuler les difficultés pour l’avenir ou les infidélités de la fortune dans le passé. En somme, c’est un discours simple, viril, qui n’élude rien, s’il ne résout rien, et c’est un soin puéril, il nous semble, d’y chercher à tout prix ce qui n’y est pas, ce qui ne pouvait pas y être, de s’évertuer sans cesse à entrevoir à travers des paroles nécessairement mesurées des solutions que l’état du monde ne comporte guère. Nous prenons, quant à nous, ce discours pour ce qu’il est et pour ce qu’il dit sur la politique extérieure. Quand l’empereur avoue hautement son « désir de maintenir la paix, » il est sincère sans nul doute, et quand d’un autre côté il ajoute qu’on est « prêt pour la défense de l’honneur et de l’indépendance du pays, » que « les ressources militaires de la France sont désormais à la hauteur de ses destinées dans le monde, » c’est encore vrai ; il constate un fait, quoiqu’il soit bien vrai aussi qu’une autre politique eût pu éviter au pays la nécessité de chercher dans des armemens immenses et inattendus la coûteuse « satisfaction » de se savoir prêt « à faire face à toutes les éventualités. » Et si ces paroles semblent procéder de sentimens complexes ou contradictoires, si elles sont peu décisives dans un sens ou dans l’autre, c’est que la situation elle-même est ainsi, c’est qu’il est bien certain que tout le monde désire la paix, et que personne, surtout depuis deux ans, ne peut plus affirmer que la paix soit pour longtemps garantie. Le discours de l’empereur ne dit donc que ce qu’il peut dire ; il constate un état difficile, ruineux, et pour le moment inévitable, dont on ne peut sortir que par un courageux désarmement ou par une entrée en campagne. Qui donnera le signal ? Demandez à M. de Bismarck et à M. de Beust ; le discours impérial a répondu pour nous : nous sommes « sur le pied de paix, » à la façon de ceux qui mettraient leur cuirasse tous les matins pour aller à leurs affaires. Provisoirement c’est le dernier mot de notre politique extérieure, telle qu’elle