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combien il aurait été facile, avec un peu plus de résolution d’abord, avec un peu plus de sang-froid ensuite, de ne point ensanglanter les rues d’une ville qui n’avait jamais assisté, depuis qu’elle existe, à une aussi lugubre aventure.

Il nous paraît impossible qu’à la suite d’événemens de ce genre le haut personnel administratif de la colonie ne soit pas complètement renouvelé. M. de Lagrange est revenu en France par le dernier paquebot ; il ne retournera certainement pas à la Réunion, M. le contre-amiral Dupré touche au terme de cinq années fixé par un usage presque constant pour la durée des pouvoirs d’un gouverneur ; il est à supposer que ses pouvoirs ne seront pas renouvelés. Mais un changement de personnes, en calmant un peu la douloureuse impression produite dans la colonie par les événemens que nous venons de retracer, ne sera qu’un palliatif insuffisant. On aura remédié au mal, on n’en aura pas supprimé les causes, surtout on n’en aura pas rendu le retour impossible. Les événemens de la Réunion en effet ne sont pas un simple accident. Ils sont au contraire, nous croyons l’avoir amplement montré dans le cours de cette étude, la conséquence dernière d’une série de fautes s’enchaînant les unes aux autres et découlant toutes du faux principe qui a présidé depuis quinze ans à l’organisation et au gouvernement de nos colonies. Ce sont ces fautes qu’il s’agit de réparer, c’est ce faux principe qu’il s’agit de remplacer par un principe plus juste et plus fécond. Ce ne sont pas seulement les hommes, ce sont aussi et surtout les institutions qu’il s’agit de changer. Les tristes scènes que nous venons de retracer ont posé la question. Elles l’ont posée non-seulement pour l’île de la Réunion, mais aussi pour la Martinique et pour la Guadeloupe ; elles l’ont posée devant le gouvernement aussi bien que devant l’opinion publique. Il faut maintenant qu’elle soit résolue. Le gouvernement lui-même, sans convenir des fautes commises et sans prendre d’engagement formel, a laissé entendre au corps législatif, par l’organe de M. le ministre de la marine et des colonies, qu’il allait aviser. Il y a donc quelque chose à faire. Tout le monde le comprend, tout le monde le reconnaît ; mais dans quel sens doit être conçue la réforme de nos institutions coloniales ? dans quelle mesure, avec quels tempéramens, doit-elle s’accomplir ? C’est là un sujet qui mérite une étude spéciale et approfondie. Peut-être entreprendrons-nous cette étude lorsque le retentissement douloureux produit par les événemens de la Réunion sera un peu amorti et lorsque le moment sera plus favorable pour faire écouter la voix de la raison et de la conciliation.


EDOUARD HERVE.