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milieu d’un quartier nouveau, appelé le Butor. L’établissement de la Providence est tout à fait en dehors de la ville. Au-delà commencent les premières assises d’un massif de montagnes qui, s’élevant rapidement d’étage en étage jusqu’à la région des neiges éternelles, borne la vue et ferme l’horizon. Parfois seulement derrière cette barrière de 3,000 mètres de haut, le ciel s’illumine, le soir, de la lueur rougeâtre d’un volcan encore en activité, le piton de Fournaise, placé à l’autre extrémité de l’île.

Le 28 novembre au soir, un certain nombre de jeunes gens, échauffés par le récit du fait imputé à M. Buet, se portèrent devant sa maison pour se livrer contre lui à une de ces manifestations regrettables sans doute, mais ordinairement peu dangereuses, qu’on appelle vulgairement un charivari. M. Buet, qui demeurait près de l’église, dînait en ville. Lorsqu’il sut ce qui s’était passé, il crut sage de ne pas rentrer chez lui. Il alla coucher à l’hôpital colonial, il passa la nuit suivante à l’établissement de la Providence ; puis il partit pour la campagne, et ne reparut plus à Saint-Denis jusqu’au jour de son embarquement pour la France. Les jeunes gens, désappointés de l’absence de M. Buet, ne voulaient pas s’être dérangés pour rien. Ils remontèrent vers la partie haute de la ville, et le petit attroupement, se grossissant en route, alla stationner d’abord devant le collège des jésuites, puis devant le logement occupé au lycée par l’aumônier de cet établissement, M. l’abbé Colin. De là, on redescendit vers la direction de l’intérieur et vers la maison de M. François Mottet, située dans le voisinage. Les cris qui se faisaient entendre étaient dirigés d’abord contre M. Buet, dont le nom était accompagné d’épithètes qui se devinent aisément, ensuite contre les jésuites, contre les pères de la Providence, contre les principaux chefs du parti ultramontain dans la colonie, enfin contre le directeur de l’intérieur. Devant la maison de M. François Mottet, le rassemblement se trouva pour la première fois en présence d’une autorité. C’était M. Gibert Des Molières, maire de Saint-Denis, président du conseil-général. On lui fit connaître les griefs que l’on croyait avoir contre M. Buet. Il promit d’exposer le cas au gouverneur, il fit entendre quelques paroles de conciliation, et l’on se retira.

Le lendemain 30 novembre, à huit heures du soir, nouvel attroupement, mais cette fois plus considérable et plus tumultueux. Dans cet intervalle de vingt-quatre heures, les têtes s’étaient montées. L’irritation accumulée depuis si longtemps et par tant de causes allait éclater. La foule, après s’être massée devant un hôtel meublé appelé l’hôtel Millier et situé dans la partie inférieure de la ville, se porte d’abord devant la maison de M. François Mottet, puis devant la