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M. le contre-amiral Dupré. A tort ou à raison, on le croyait peu favorable au système qu’il était chargé d’appliquer. On affirmait que, dans la mesure de ses forces, il avait appuyé auprès du gouvernement métropolitain les réclamations déjà plusieurs fois élevées contre la constitution coloniale. On prétendait aussi qu’il ne supportait pas avec une résignation absolue l’influence prédominante du directeur de l’intérieur, et qu’il n’aurait pas été fâché de secouer un joug qui avait déjà pesé à son prédécesseur et qui lui pesait davantage encore.

Les chefs du parti libéral dans la colonie résolurent de faire un dernier et vigoureux effort pour obtenir l’abolition du système établi par le sénatus-consulte de 1854 et la restitution des droits dont les colons avaient été privés à ce moment. A cet effet, on prépara une pétition adressée au sénat. La rédaction en avait été confiée à M. Jugand, professeur de philosophie au lycée impérial. C’est assez dire que ce document n’avait aucun caractère révolutionnaire. Pendant qu’il se couvrait de signatures, la session du conseil-général s’ouvrit. Deux des membres de ce conseil venaient de donner leur démission. Tous deux représentaient la ville importante de Saint-Pierre, la seconde de l’île. L’un d’eux, M. Ruben de Couder, avait motivé sa démission dans une lettre très ferme et très modérée. Il ne lui convenait pas de continuer à rester membre d’une assemblée non élue au moment même où ses concitoyens réclamaient le droit d’élire leurs mandataires.

C’est alors que l’administration crut faire preuve de prévoyance et d’habileté en interdisant aux journaux, par une note officieuse, la discussion des questions se rattachant à l’organisation coloniale. Il ne faut pas oublier que la presse est encore aujourd’hui soumise dans nos colonies au régime discrétionnaire, de telle sorte que l’avis officieux de l’administration équivalait à un ordre. La polémique des journaux abandonna le terrain politique, d’où on la chassait, pour se concentrer exclusivement sur le terrain religieux. La question de la constitution coloniale passa au second plan pour laisser la première place à la question religieuse ou cléricale, comme on voudra l’appeler. Or, si les passions religieuses sont infiniment plus vivaces et plus redoutables que les passions politiques, si elles ont le privilège de remuer plus profondément les classes les moins éclairées, c’était, on en conviendra, une singulière imprudence que de pousser la presse dans cette voie, où elle n’était d’ailleurs que trop portée à s’engager.

Trois journaux principaux se publient à Saint-Denis, en dehors du Journal officiel, qui se renferme dans son rôle de feuille strictement consacrée à la publication des actes du gouvernement et des