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habitans qui avaient acquis des propriétés à un prix exagéré se trouvèrent hors d’état de faire face à leurs engagemens. Leur ruine entraîna celle des négocians et des agens de change auprès desquels ils avaient trouvé du crédit. La place de Saint-Denis presque tout entière croula. D’anciennes maisons d’une honorabilité reconnue, d’une solvabilité jusque-là intacte, suspendirent leurs paiemens. Le contre-coup de ces désastres se fit sentir jusqu’en France, sur les places avec lesquelles l’île de la Réunion était en relation, et notamment sur la place de Nantes.

Les fautes des colons toutefois n’avaient que des conséquences limitées et temporaires. Il suffisait qu’une nouvelle couche de propriétaires et de négocians vînt remplacer celle qui avait été submergée par la crise ; il suffisait que le travail et l’économie vinssent réparer les maux causés par l’esprit de spéculation et d’aventure, et la colonie pouvait revoir des jours prospères. C’était une liquidation à faire, rien de plus. Les fautes du gouvernement métropolitain et de l’administration locale avaient une bien autre portée, ainsi qu’on va le voir. Le gouvernement métropolitain fut le premier, le grand coupable. L’expérience de 1848 devait lui démontrer que les colonies, surtout l’île de la Réunion, étaient mûres pour le self-government. Loin de restreindre leurs libertés, il devait les étendre. C’est ce que la république avait d’abord paru vouloir faire en appelant les colons à envoyer des députés à l’assemblée nationale ; mais en même temps, par une inspiration malheureuse, on supprimait les conseils coloniaux. On retirait donc aux colonies leur représentation locale au moment même où on leur accordait une place dans la représentation métropolitaine. On se proposait sans doute de remplacer les conseils coloniaux par des assemblées nouvelles, fondées sur la large base du suffrage universel. Toutefois il aurait été sage d’attendre la constitution de ces nouvelles assemblées avant de supprimer les anciennes. Il n’est jamais prudent de détruire sans réédifier. Bientôt le pouvoir changea de mains. D’autres hommes survinrent, et avec eux d’autres doctrines. On retira aux colonies les députés que la république leur avait donnés, et on ne leur rendit pas les conseils coloniaux que la république leur avait enlevés. Pour remplacer ces assemblées, on créa des conseils-généraux non électifs. L’organisation en fut réglée par le sénatus-consulte du 3 mai 1854. Quant aux députés coloniaux, ils avaient été supprimés en 1852.

Le sénatus-consulte de 1854 est resté jusqu’à ce jour la charte de nos colonies de la Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe. Il a été modifié, il est vrai, par le sénatus-consulte du 4 juillet 1866, mais seulement en ce qui concerne les attributions des conseils-généraux. Les dispositions du sénatus-consulte de