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permit de recruter sur ces deux points un certain nombre de bras. Le produit de l’indemnité, accordée aux anciens propriétaires d’esclaves leur servit soit à éteindre leurs dettes hypothécaires, soit à perfectionner leur outillage, soit à se procurer des engrais. Bref on essaya par tous les moyens possibles de réparer les brèches que l’abolition de l’esclavage avait pu faire à la fortune, de la colonie. Cette sage et patriotique conduite fut récompensée. A la crise passagère de 1848 succéda, une période de prospérité qui coïncida avec l’administration de M. Hubert Delisle. M. Delisle, un des rares gouverneurs civils que la colonie ait possédés depuis de longues, années, avait été envoyé à la Réunion au commencement de 1852. L’état de sa santé le força de rentrer en France en 1858. C’est alors qu’il fut nommé sénateur. En arrivant dans la colonie, il y avait déjà trouvé des germes de prospérité qui se développèrent sous son administration. La production annuelle du sucre, qui ne dépassait pas en moyenne 25 millions de kilogrammes à la veille de la révolution de 1848, atteignit 29 millions de kilogrammes dès 1852. En 1853, elle était de 33 millions ; en 1854 de 39 millions ; en 1855 et 1856, elle arrivait à 56 millions ; enfin un peu plus tard elle atteignait 60 millions de kilogrammes, et dépassait même un instant ce chiffre. Dès cette époque cependant, un observateur attentif aurait pu découvrir, au milieu même de la prospérité dont jouissait la colonie, quelques-unes des causes dont l’action allait bientôt mettre un terme à cette prospérité. Des fautes avaient été commises par les colons, par le gouvernement métropolitain, par l’administration coloniale. Ces fautes pouvaient encore être réparées. Loin de là, elles ne firent que s’aggraver et se multiplier sous les deux administrations de M. le capitaine de vaisseau Darricau et de M. le contre-amiral Dupré.

Les colons n’avaient eu qu’un tort, un tort grave, il faut bien le dire. Ils avaient trop cru à la prospérité de l’île. Ils avaient considéré deux ou trois récoltes exceptionnelles comme des récoltes normales. Les fortunes rapides faites par quelques propriétaires avaient tourné toutes les têtes. Chacun comptait s’enrichir en cinq ou six ans. On achetait toutes les propriétés qui se trouvaient à vendre ; on achetait à n’importe quel prix ; on achetait en payant un à-compte relativement minime, et en comptant sur les récoltes pour payer le surplus du prix d’achat. Survinrent de mauvaises années. La terre était épuisée par l’abus des engrais et par une production exagérée. Ou lui avait demandé plus qu’elle ne pouvait donner : elle ne voulut même plus donner ce qu’on était peut-être en droit de lui demander. Une maladie se jeta sur les cannes à sucre. Des coups de vent arrivèrent par là-dessus. L’ouragan acheva l’œuvre de la maladie. Les récoltes furent réduites de près de moitié. Les