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dès lors par la métropole, la population blanche sentait bien que cette réforme était inévitable, et que tout au plus on pouvait espérer de la retarder quelque temps. On s’y préparait donc, soit par des affranchissemens partiels, soit par de louables efforts pour donner aux nègres esclaves les premiers élémens de l’instruction primaire et de l’éducation religieuse. L’esclavage d’ailleurs avait toujours été moins rude à la Réunion que partout ailleurs. Les haines de caste y étaient moins vivaces. De jour en jour, elles allaient s’affaiblissant. Déjà la classe intermédiaire des mulâtres tenait une place importante dans la colonie. Il y avait des mulâtres dans le conseil colonial ; il y en eut parfois dans le conseil privé. Dans le collège royal de Saint-Denis, des fils de mulâtres et même des fils de nègres affranchis étudiaient à côté des fils de blancs. La fusion ou du moins le rapprochement s’opérait ainsi peu à peu. Enfin (et c’était là peut-être le résultat le plus précieux de l’organisation coloniale d’alors) des habitudes de discussion et d’examen s’établissaient. Un véritable esprit public se formait. La presse malheureusement était soumise au pouvoir arbitraire de la censure ; mais les mœurs, plus fortes que les lois, avaient créé une liberté de fait avec laquelle il fallait compter.

Cette éducation politique avait préparé la population de la Réunion à envisager sans trop d’effroi la situation nouvelle qui allait être faite aux colonies par la proclamation de la république et par l’abolition de l’esclavage. Le premier moment de surprise une fois passé, on se mit en mesure de faire face aux événemens. Ce fut une circonstance favorable à cette époque que la difficulté et la lenteur des communications avec la métropole. Lorsque le commissaire-général de la république, M. Sarda-Garriga, arriva dans l’île, de longs mois s’étaient déjà écoulés depuis la révolution de février. Les événemens avaient marché en Europe. M. Sarda-Garriga, dans le cours de son voyage, avait pu recevoir des nouvelles de nature à modifier un peu certaines de ses idées. Les colons d’autre part avaient eu le temps d’examiner de sang-froid leur situation. Des deux côtés, on se montra donc sage et conciliant. Le commissaire de la république prit toutes les mesures nécessaires pour que la substitution du travail libre au travail esclave s’accomplît sans secousse. Les colons évitèrent d’aggraver par leur mauvais vouloir et leurs résistances les difficultés de cette grave révolution sociale. Vers la fin de l’année 1848, l’abolition de l’esclavage à la Réunion était devenu un fait accompli sans que l’on eût eu aucun malheur à déplorer.

Une partie des anciens esclaves avaient consenti à s’engager comme travailleurs libres pour continuer la culture de la canne à sucre. Le voisinage de l’Inde et de la côte orientale d’Afrique