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eût cru devoir y répondre par une fusillade meurtrière ? A qui fallait-il faire remonter la responsabilité de ces déplorables événemens ? Aux hommes ou aux institutions ? au pouvoir ou à l’opposition ? à l’administration ou aux administrés ?

Telles sont les questions que tout le monde s’est posées et auxquelles nous allons essayer de répondre. Nous ne nous bornerons donc pas à raconter les événemens des 29 et 30 novembre, et des 1er et 2 décembre 1868. Nous essaierons d’en rechercher les causes dans le passé de la colonie, dans ses institutions et dans son histoire. Pour cela, il faut nous reporter à vingt ans en arrière, au lendemain même de la révolution de 1848 et de l’abolition de l’esclavage.


I

Lorsque survint pour les colonies françaises la crise de 1848, l’île de la Réunion se trouvait dans des conditions assez favorables pour la supporter. Depuis quinze ans, elle avait reçu le bienfait d’une constitution relativement libérale, et elle avait su en profiter. La loi du 24 avril 1833, complétée par l’ordonnance royale du 22 août de la même année, lui avait donné, sous le nom de conseil colonial, une assemblée élective. L’année suivante, le principe de l’élection avait été étendu aux conseils municipaux. Dans la colonie comme dans la métropole, le cens, à cette époque, était la condition du droit de suffrage. Les conseils municipaux avaient les mêmes attributions que ceux de la métropole. Le conseil colonial votait les budgets coloniaux et surveillait la marche de l’administration, confiée alors, comme aujourd’hui, à un gouverneur assisté d’un conseil privé dans lequel siégeaient, à côté des chefs de service, quelques notables habitans du pays. La population, par l’élection des membres du conseil colonial et des conseils municipaux, prenait donc une certaine part à la gestion des affaires locales. Il lui manquait de prendre part à la gestion des affaires générales de l’état. L’île de la Réunion, comme les autres colonies, n’envoyait pas de députés à la chambre. La création d’une représentation des colonies dans les conseils de la métropole devait être la conséquence et comme le prix de l’abolition de l’esclavage.

Sous le système que nous venons d’esquisser, l’administration de la colonie fut plus prudente que hardie, plus amie de la conservation que du progrès, mais en somme sage et modérée. Les finances étaient conduites avec économie. La situation budgétaire était satisfaisante, bien que l’île produisît dans ses meilleures années à peine ce qu’elle produit aujourd’hui dans ses années de détresse. Tout en combattant l’abolition de l’esclavage, projetée