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semble disposé à accepter avec la même facilité toutes les formes sous lesquelles on lui présente l’adultère. Il va jusqu’à le supporter pratiqué en quelque sorte sous ses yeux. On lui présente une femme qui prétend l’intéresser en se partageant avec chagrin depuis sept ou huit ans entre deux hommes. On lui présente un pauvre petit enfant avec son angélique innocence compromis et confondu dans cette promiscuité. Il est bien vrai que, si ce spectacle était offert au public avec les allures grossièrement facétieuses qu’il avait dans l’ancienne comédie française du XVIe siècle, ou même dans celle des prédécesseurs de Corneille, le public ne le tolérerait pas. Il faut lui rendre cette justice, il prend généralement le mariage au sérieux et il aime qu’on lui en parle sérieusement, même quand on le lui peint défiguré et profané ; c’est donc par un emploi habile de la phraséologie sentimentale et des combinaisons romanesques qu’on lui fait supporter des dissonances morales poussées parfois jusqu’à la discordance la plus aiguë. Il s’agit presque toujours de personnes qui ont une belle âme, qui souffrent, qui pleurent, qui se proclament très coupables, et qui se résignent à vivre dans des situations ou qui emploient des moyens incompatibles avec le sentiment le plus élémentaire de délicatesse et de dignité.

La même recherche d’effets nouveaux par l’abus de la dissonance qui a produit certaine musique dont Rossini disait : « Si c’était de la musique, elle serait bien mauvaise, » a fait naître les deux thèmes favoris de la comédie contemporaine, — la réhabilitation de la fille perdue et la dégradation attendrissante de la femme mariée. Le premier de ces deux thèmes commence pourtant à passer de mode. Nous pensons que le second ne tardera point à s’user également. Au point de vue de l’art, il est stérile, parce qu’il ne se prête qu’à un très petit nombre de combinaisons tolérables sur un théâtre, et au point de vue moral il est presque toujours répugnant pour quiconque supporte difficilement d’être ému par des scènes dégradantes et des caractères avilis. Cette répugnance, qui n’atteint pas encore la foule, finira par se communiquer à elle. Ce qui est certain, c’est que, si nous voulions résumer ici avec précision quelques-unes des situations les plus scabreuses de certaines comédies de notre temps, ce résumé dépasserait de beaucoup en indécence les saillies les plus impertinentes du fat Alcidor. Nous ne prétendons pas d’ailleurs exagérer la valeur des comédies du comte de Forcalquier. Si moralement elles en ont peu, elles n’ont pas non plus une signification directement contraire à la morale. Quoique le dénoûment y soit toujours plus édifiant que le dialogue, il est visible qu’elles ne tendent guère qu’à divertir les spectateurs et les acteurs eux-mêmes. Sous le rapport dramatique, il est