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GÉRASTE.

Il est vrai, monsieur, que j’ai besoin de beaucoup d’éclaircissemens avant que de songer à vous donner ma fille.

ALCIDOR.

Je vous croyais au fait, monsieur, des diverses convenances qui ôtent à mes desseins tout vernis de présomption.

GÉRASTE.

Je connais parfaitement votre naissance ; votre bien suffit avec de l’économie. Je vous suppose très volontiers de la probité, puisque vous n’avez pas prouvé le contraire, et je sais de reste que vous avez de l’esprit.

ALCIDOR.

Eh ! monsieur, vous en savez là, pour un seul mariage, plus qu’il n’en faut pour marier toute une ville. Qui peut donc vous arrêter ?

GÉRASTE.

Votre caractère, que j’ignore, votre langage, que je n’entends pas, votre conduite, qui ne me plaît point.

ALCIDOR.

Comment donc ?… Qu’entends-je ?… Vous me ravissez… En vérité, monsieur, je n’avais point cette idée-là de vous.

GÉRASTE.

Qu’est-ce à dire ?

ALCIDOR.

Je faisais cas de votre vertu, de votre candeur, même de vos manières négligées, car tout cela me plaît, et suffisait pour me rendre votre alliance précieuse.

GÉRASTE.

Eh bien ?

ALCIDOR.

Mais je ne vous soupçonnais pas le style épigrammatique. Savez-vous bien que vous m’avez servi là d’une tirade de naïveté aussi fine, aussi piquante que j’en aie jamais entendu ?

GÉRASTE.

Je ne croyais pas être aussi plaisant.

ALCIDOR.

Revenons, monsieur, je vais tâcher de vous répondre. Mon caractère est franc, et je vous le prouverai. Mon âme, tout en dehors, ne craint point le grand jour, je me montre, le parterre siffle ou applaudit, il a tort ou il a raison, je n’en suis ni humilié, ni enorgueilli. Je suis homme, je n’ai présenté qu’un homme, il faut bien qu’il ait les vices et les vertus de l’humanité.

GÉRASTE.

Je n’aime pas trop cette indifférence pour le jugement du public. Voilà apparemment ce que vous appelez, vous autres, de la philosophie. Que faites-vous donc de la réputation ?