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Oh ! monsieur, je ne puis me contenir ; vous êtes incompréhensible. Vous rechignez pour épouser une maîtresse que vous aimez, qui vous adore, que toutes les femmes maudissent, que tous les hommes lorgnent et que personne n’a.

LINDOR.

Tout le piquant de cette aventure est émoussé, mon pauvre Frontin. J’éprouve d’avance depuis six mois presque tous les dégoûts du mariage. Ma bonne fortune est publique au point qu’on la respecte, et que personne ne daigne plus la traverser.

FRONTIN.

Eh ! monsieur, le mariage vous procurera peut-être tout le manque de respect que vous pouvez désirer ; vous ignorez le pouvoir du sacrement.

Et comme dans la suite de la scène Lindor prononce cette phrase, assez singulière pour l’époque : « il m’est venu cent fois l’idée de me tuer ; j’y aurais succombé, si cela n’était pas platement pillé des Anglais, » Frontin répond : « Tant mieux que cette idée soit venue ; il n’y a plus rien à en craindre, elle a perdu l’attrait de la nouveauté. Vous ne mourrez jamais de cette main (lui touchant la main), mon cher maître. »

Mettons maintenant les deux blasés en présence. Il s’agit de savoir ce qu’ils résoudront au sujet de la sommation matrimoniale qui leur a été faite par l’oncle Géronte.

LINDOR.

J’allais aux pieds de ma souveraine éclaircir ma destinée et le message de M. Géronte.

CHLOÉ.

Frontin a dû vous en rendre compte. Eh bien ! qu’en pensez-vous ?

LINDOR.

Mais c’est sur cela que j’attends l’ordre de vos sentimens. Vous pouvez bien penser qu’un amant tel que moi se précipitera de premier mouvement dans les moyens les plus bizarres d’être uni à ce qu’il aime. La délicatesse peut-être en murmure, mais elle serait trop dangereuse Il écouter.

CHLOÉ.

Il est certain que la manière de mon oncle est un peu prompte, mais votre délicatesse me semblerait un peu déplacée, si je ne trouvais moi-même bien à réfléchir sur le fond de l’affaire.

LINDOR.

Il est donc vrai, madame, qu’il n’y a personne au monde d’assez intrépide pour aborder le mariage d’un pas ferme ?

CHLOÉ.

Vous êtes sans contredit l’homme de la cour le plus brillant et le plus