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Duclos n’avait encore publié que deux romans de peu de valeur, dont un très licencieux, et son Histoire de Louis XI, qui fit un certain bruit, mais qui n’a point survécu ; il échoua. Cependant quelques mois après il fut élu, et prononça un discoure qui donnait beau jeu à Louis XV pour dire à propos de Duclos un mot que toutes les biographies répètent : « Pour celui-là, il a son franc parler. » Il l’avait en effet, car il n’hésitait pas à employer en l’honneur de Louis XV la qualification, très nouvelle alors, de roi citoyen ; bien plus, il appelait ce triste roi un prince supérieur à la gloire même. C’était sans doute pour se donner dans l’avenir de la marge comme censeur que Duclos commençait ainsi par pousser l’adulation jusqu’aux dernières limites. Malgré ces accès de courtisanerie qui tranchent parfois chez lui avec une humeur habituellement indépendante, il avait dû principalement à l’estime de Rousseau, qui ne la prodigue pas et qui dans ses Confessions le peint d’un trait : droit et adroit, de se maintenir jusqu’à nous avec la réputation d’un galant homme, un peu bourru, peu châtié dans son langage, capable d’habileté dans sa conduite, mais incapable de déloyauté et de bassesse. C’est seulement en 1818 que la publication des mémoires de Mme d’Épinay est venue mettre en question son honnêteté. Un juge redoutable, l’auteur des Causeries du Lundi, séduit d’abord par Mme d’Épinay, avait commencé par prononcer contre l’infortuné Duclos cette dure sentence : « il ne laissera plus désormais que l’idée d’un ami dangereux, d’un despote mordant, cynique et traîtreusement brusque ; on aura beau faire et dire, le faux bonhomme en lui est démasqué, il ne s’en relèvera pas. » Heureusement pour Duclos, la sentence a été révisée et adoucie par le juge lui-même aussitôt qu’il a pu se dérober à l’influence de ces grâces et de ces mollesses voluptueuses que Rousseau refuse à Mme d’Épinay, mais que Diderot, bon juge, dit M. Sainte-Beuve, lui accorde. En changeant de sujet, c’est-à-dire en passant de Mme d’Epinay à Duclos, il est arrivé à l’éminent critique ce qui arriva au cardinal de Bausset, qui dans son Histoire de Fénelon penche involontairement pour Fénelon contre Bossuet, et subit l’attraction inverse dans son Histoire de Bossuet.

Dans l’excellent et substantiel travail qu’il a consacré à Duclos, M. Sainte-Beuve réduit les torts de celui-ci envers Mme d’Épinay à des torts d’impolitesse et de brusquerie. Quant au grief de duplicité, il le tient pour douteux, et, s’appuyant sur l’autorité d’une personne très distinguée qui probablement a traité la même question[1], il conclut avec elle « que ce ne serait que dans quelques occasions où Duclos était en lutte qu’il aurait eu du calcul et de la

  1. Mme Guizot (Pauline de Meulan).