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comédie contemporaine avec la prétention plus ou moins sincère, mais souvent très mal fondée, de servir la cause de la morale.

Avant de parler de ce théâtre de société, il faut dire un mot de l’auteur. Louis Bufile de Brancas, fils aîné du maréchal, naquit le 28 septembre 1710. Pourvu en survivance de son père de la lieutenance-générale de Provence, il débuta assez brillamment dans la carrière militaire. Assistant à l’âge de vingt-trois ans au siège du fort de Kehl, il fut assez heureux pour avoir les cheveux coupés par un boulet de canon, sans autre dommage. Ce bizarre coup de canon, qui fit sensation et qui paraît invraisemblable, est constaté par un impromptu de Voltaire adressé au héros de l’aventure en 1733, et qui commence ainsi :

Des boulets allemands la pesante tempête
A, dit-on, coupé vos cheveux ;
Les gens d’esprit sont fort heureux
Qu’elle ait respecté votre tête.

Cependant la faiblesse de sa santé ne permit pas au comte de Forcalquier de se faire remarquer autant que son père dans le métier des armes ; mais il conquit de bonne heure la réputation d’un homme très distingué par l’intelligence, associant le goût de l’étude et la culture des lettres aux distractions du monde. Son genre d’esprit, à en juger par le témoignage de ses contemporains, que confirme d’ailleurs la lecture de ses écrits, était très brillant, mais un peu subtil et caustique. « Il avait, dit le président Hénault, beaucoup plus d’esprit qu’il n’en faut ; Mme de Flamarens disait qu’il éclairait une chambre en y entrant. Gai, un ton noble et facile, un peu avantageux, peignant avec feu tout ce qu’il racontait, et ajoutant quelquefois aux objets ce qui pouvait leur manquer pour les rendre agréables et plus piquans. » Mme du Deffand de son côté a tracé de lui un portrait qui paraît d’abord attrayant, mais qui tourne assez vite au désagréable, tandis que dans son portrait à elle, qu’a tracé à son tour M. de Forcalquier, elle n’est guère présentée qu’en beau.


« La figure de M. de Forcalquier, dit Mme du Deffand, sans être fort régulière, est assez agréable ; sa physionomie, sa contenance, jusqu’à la négligence de son maintien, tout est noble en lui ; ses yeux sont ouverts, rians, spirituels ; il a l’assurance que donnent l’esprit, la naissance et le grand usage du monde. Son imagination est d’une vivacité, d’une chaleur, d’une fécondité admirables, elle domine toutes les autres qualités de son esprit ; mais il se laisse trop aller au désir de briller : sa conversation n’est que traits, épigrammes et bons mots. Loin de chercher à la rendre facile et à la portée de tout le monde, il en fait une sorte d’escrime où il prend