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Mémoires du duc de Luynes, ce journal, qui continue Dangeau pour le règne de Louis XV, nous apprend que le jeune comte de Rochefort existait encore deux ans et demi après son mariage, en octobre 1738, car il y est question de lui à l’occasion d’un fait qui met en relief la bonne grâce de sa femme.

Mme de Rochefort, remplaçant sa mère malade, avait accompagné et même devancé son père, qui se rendait à Rennes pour présider l’assemblée des états de Bretagne comme commandant de la province. Les dames de Rennes ne voulurent pas accorder à la fille du commandant l’honneur de la première visite, qui, suivant elles, n’était dû qu’à sa femme, « d’autant, dit le duc de Luynes, que le mari de Mme de Rochefort est Breton, et qu’en qualité de membre des états il ne lui est point dû d’honneurs. » Pour éviter l’embarras d’un conflit, elles partirent toutes pour la campagne ; mais Mme de Rochefort, au lieu de se fâcher, prit sur elle, en l’absence de son père, de passer à la porte de toutes ces dames. Cette attention de sa part, dit le duc de Luynes, réussit au mieux ; toutes revinrent chez elles avec empressement. On envoya même à Mme de Rochefort une députation du parlement en conséquence d’une délibération où il fut dit que c’était contre la règle ordinaire et par considération personnelle. Ce fut un évêque qui porta la parole. Le succès de la jeune femme alla plus loin encore, car à la clôture des états, contrairement à toutes les règles, qui voulaient, d’après le duc de Luynes, qu’on ne votât de gratification qu’à la femme du commandant et non à sa fille, et que le don ne dépassât jamais 10,000 livres, il fut voté d’enthousiasme 12,000 livres de gratification à Mme de Rochefort[1]. N’a-t-on pas là une victorieuse démonstration de l’extrême amabilité qui distinguait la comtesse dès l’âge de vingt-deux ans ? Toujours est-il qu’à partir de cette année 1738 le duc de Luynes, qui parle d’elle assez souvent, ne dit mot de son mari ; nous allons voir d’autres contemporains qui vantent l’agrément des réunions de l’hôtel de Brancas, où figure avec éclat Mme de Rochefort, garder le même silence absolu sur le mari, d’où l’on peut conclure que c’est vers cette époque, de 1739 à 1741, que la jeune femme devint veuve.

Elle commença par tenir la maison de son père, où l’on recevait beaucoup, et dont les réceptions devinrent plus brillantes encore lorsque son frère aîné, le comte de Forcalquier, eut épousé, le 6 mars 1742, la jeune et riche veuve du marquis d’Antin. « On ne peut pas être plus jolie, dit à cette occasion le duc de Luynes, que l’est Mme de Forcalquier ; elle est petite, mais fort bien faite, un beau

  1. Voyez les Mémoires du duc de Luynes sur la cour de Louis XV, t. II, p. 263 et 282.