Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marraine. Le lendemain, on apporta à l’accouchée une chemise et des draps envoyés par le padre Valfrè. »

Il faut savoir ce qu’était cet inconnu dont le nom arrive ici sous la plume du prisonnier. C’était un moine de la noble famille des Valfrè, un de ces hommes qui semblent nés pour aimer et faire le bien, un saint Vincent de Paul piémontais, mais d’un esprit plus large et plus tolérant que celui de France. Il s’était attaché à cette grande misère vaudoise pour la soulager, suivant les captifs de citadelle en citadelle, leur faisant distribuer du linge, des bouillons, et leur donnant même quelque peu d’argent. Il était accompagné d’un moine savoyard, le père Morand, animé du même esprit et de la même charité, « et ce qu’il y avait de remarquable, ajoute Salvajot en parlant de ces deux bienfaiteurs, c’est qu’ils ne faisaient aucune différence entre ceux qui s’étaient faits catholiques et ceux qui étaient restés fidèles à leur religion. Ils semblaient même avoir pour ces derniers plus d’égards et de respect. » Pendant que ces deux amis de l’humanité étaient à l’œuvre, prodiguant leurs secours indistinctement, des moines d’une autre trempe entraient dans les prisons à tout moment pour tourmenter les captifs par d’interminables controverses théologiques. Ils y mettaient un acharnement étrange. Un pasteur nommé Leydet, ayant été pris les armes à la main, fut condamné à mort. Les moines le poursuivirent de controverses jusque sur l’échafaud, et pendant qu’il s’écriait en face du supplice : « O mon Dieu, je remets mon âme entre tes mains, » ces furieux l’obsédaient encore d’argumens sur les caractères de la véritable église. Les prisonniers avaient d’autres plaies qui s’attachaient à eux, des maladies, des privations de toute sorte, la faim, les mauvais traitemens, des gardiens impitoyables qui les faisaient rentrer vivement dans leurs cachots lorsque le duc de Savoie venait inspecter les travaux de fortifications. Cette dernière circonstance, notée par Salvajot, prouve que le duc était tenu systématiquement dans l’ignorance de ce qui se passait. Le pauvre père raconte que sa femme mourut quelques jours après sa délivrance, et fut ensevelie dans le drap donné par le bon Valfrè ; un mois après mourut aussi l’enfant baptisée de force, et Salvajot resta seul avec une petite fille alors âgée de cinq ans et demi. « Enfin, dit-il, on commença de parler de notre prochaine sortie du pays. Déjà on laissait quelques-unes de nos femmes passer les portes de la citadelle et aller en ville pour faire leurs provisions ; puis on permit aussi à quelques hommes de sortir, pourvu qu’ils fussent accompagnés de deux sergens, et ainsi s’acheminaient les choses vers notre liberté. »

Les envoyés du protestantisme restés à Turin pendant que se jouait le drame sanglant que nous avons décrit, reprirent les né-