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elle-même consent à être sollicitée, poursuivie, importunée par nos prières ; les souverains sont l’image de Dieu sur la terre, de quel droit se plaindraient-ils, si nous en agissons avec eux comme avec le maître du ciel ? » Ces paroles, prononcées avec une fierté toute pontificale et un accent déchirant, enlevèrent l’assemblée presque entière. Les prélats amis de la cour étaient consternés, et l’un d’eux, se tournant vers son voisin, lui murmura d’une voix basse à l’oreille : « Nous y voilà, comme je l’avais, hélas ! si bien, prévu[1]. » Les pères du concile en eftet ne se possédaient plus. M. d’Aviau, archevêque de Bordeaux, l’archevêque de Turin et l’évêque de Soissons appuient à plusieurs reprises avec beaucoup d’insistance la proposition de leur collègue de Chambéry. Seuls, le cardinal Maury, M. de Pradt et M. d’Osmond, évêque nommé de Florence, hasardent quelques objections, représentant que la liberté du saint-père et tout ce qui le concernait ne faisaient pas l’objet précis de l’adresse. Ces évêques, dont la situation n’était pas tout à fait semblable à celle de leurs collègues, puisqu’ils occupaient des sièges pour lesquels ils n’avaient pas reçu l’institution canonique, ne furent guère écoutés. M. d’Osmond en particulier déplut évidemment à l’immense majorité du concile quand il termina ses observations en rappelant que les grandes assemblées s’étaient le plus souvent mal trouvées d’avoir cédé à des mouvemens d’émotion irréfléchie. Il était grand temps que le cardinal Fesch intervînt.

Jusque-là le président du concile avait laissé passer sans mot dire toutes les paroles enflammées qui venaient de jeter au milieu de l’assemblée une animation aussi extraordinaire. Il était clair qu’il n’avait pas écouté sans plaisir les généreuses protestations des évêques en faveur du pape, et l’élan qui les portait à vouloir immédiatement réclamer sa mise en liberté n’avait pas semblé rencontrer de sa part la moindre désapprobation. Cependant, s’il persistait à se taire, il n’était pas difficile de comprendre qu’un acte des plus significatifs de la part des pères du concile allait bientôt succéder aux paroles prononcées. A voir seulement la contenance de plus en plus embarrassée des deux ministres des cultes de France et d’Italie, le cardinal ne pouvait se dissimuler l’accueil que recevrait aux Tuileries la démarche projetée. Les gestes désespérés de M. Bigot de Préameneu et ses propres souvenirs ne lui permettaient pas d’oublier que l’empereur ne lui avait rien tant recommandé que de veiller rigoureusement à ce que le concile ne se risquât jamais à prendre aucune initiative, et surtout à s’adresser brusquement à lui par la voie des motions d’ordre. Le danger était imminent ; s’il

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.