Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prélat était grande et méritée, personne ne s’étonna qu’il eût pris de lui-même cette initiative. Cependant on s’aperçut bientôt qu’au lieu de contenir simplement, comme il eût été naturel, de purs témoignages de respect et d’attachement pour la dynastie impériale et une sorte d’adhésion générale aux principes du gouvernement, ce qui était dans les vœux de tous, l’adresse proposait de lier d’avance le concile sur tous les points, et n’était rien moins en réalité qu’un véritable traité de théologie d’état : elle abordait successivement toutes les questions alors le plus ardemment controversées, et parlait notamment en termes très accentués de la bulle d’excommunication lancée par Pie VII contre Napoléon. La stupéfaction fut extrême. M. Duvoisin avait à peine fini sa lecture que chacun des membres de la commission se mit à regarder son voisin ; puis, après un moment de silence, les objections les plus diverses s’élevèrent de tous les côtés à la fois.

Étonné à son tour, l’évêque de Nantes, qui ne s’attendait à rien moins qu’à l’effet qui allait suivre ses paroles, répondit assez fièrement que « son travail avait été communiqué à l’empereur, et qu’il avait déjà reçu de lui la plus complète approbation. » Au lieu de la surprise, ce fut l’indignation qui se put lire à ces mots sur tous les visages ; mais cette indignation, il eût été dangereux de l’exprimer trop haut. M. de Broglie, évêque de Gand, tout plein encore du souvenir de la malveillance que lui avait récemment témoignée Napoléon, et qui s’était promis à lui-même de s’effacer autant que possible, ne put toutefois se contenir. Prenant le premier la parole, il confessa ingénument à son collègue que « l’aveu qui venait de sortir de sa bouche le pénétrait de tristesse. Il lui rappela que Bossuet avait jadis hautement réclamé contre Louis XIV, dont une décision prise en conseil avait prescrit aux évêques de lui soumettre leurs mandemens. Le roi, en raison de ses grands mérites et des services qu’il avait rendus à l’église, avait exempté Bossuet de la mesure. Celui-ci avait refusé l’exemption, disant qu’il la voulait pour l’épiscopat français tout entier, et Louis XIV avait retiré son arrêt[1]… » — « D’ailleurs, ajouta M. de Broglie, comment M. de Nantes n’avait-il pas réfléchi qu’il avait ainsi violemment compromis non-seulement les membres de la commission, qui pouvaient songer à modifier son projet d’adresse, mais le concile lui-même, qui avait aussi le droit d’y introduire de notables changemens, et même, si cela lui convenait, de le rejeter entièrement ? Et quelle ne serait pas alors l’irritation du souverain !… » Insistant sur ce que la démarche de M. Duvoisin avait de coupable et d’inouï, car elle

  1. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.