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quelques-uns des caractères de nos prairies. L’œil ne s’égare pas comme dans le nord à chercher des bornes que marque seul le bleu du ciel, qui vient se confondre au loin avec le vert de la terre ; mais des rideaux d’arbres ferment assez régulièrement l’horizon de distance en distance, et présentent ainsi à la vue un espace à la fois vaste et circonscrit. À ces rideaux d’arbres s’attachent d’ordinaire, sauf aux heures du milieu du jour, de légères brumes qui donnent au paysage un aspect d’une douceur mélancolique, et parfois une sorte de physionomie résignée. Ces brumes, qui sont, circonstance assez singulière, un phénomène très particulier au sud, où la lumière est beaucoup plus voilée que dans le nord, jouent un rôle considérable dans les paysages de Paul Potter. Sous cette lumière voilée, la verdure prend une teinte d’ordinaire pâle et maladive, quelquefois sombre, toujours triste, qui fait un contraste marqué avec la riante exubérance qu’elle présente aux environs de Harlem, et la douceur suave qui la distingue dans l’extrême nord. a ces caractères, vous reconnaissez la prairie humide, brumeuse, de Paul Potter, sa lumière sans éclat, ses ciels saturés de vapeurs, ses perspectives majestueuses, mais sans profondeur, ses horizons qui satisfont l’œil, mais qui ne fuient jamais devant lui comme pour l’inviter à le suivre, et ne nous font jamais apparaître cette vision d’un je ne sais quoi d’indéfini et d’insaisissable que nous avons rencontré si souvent chez des paysagistes moins grands que lui.

J’ai dit que j’avais une seconde raison pour unir le nom de Paul Potter à celui de la ville de Rotterdam. Cette raison, c’est que le plus remarquable jugement que j’aie encore lu ou entendu sur le fameux Taureau de Paul Potter, — celui qui serre de plus près le sens et la portée de cette œuvre magistrale, m’a été donné à Rotterdam précisément par notre collaborateur M. Albert Réville, pasteur de l’église wallone de cette ville. Comme mes impressions après contemplation du tableau de Paul Potter se trouvèrent exactement d’accord avec ce jugement, je ne puis mieux faire que de le transcrire, car je ne saurais dire autrement ni aussi bien. « Parmi les belles choses que vous verrez à La Haye, me dit M. Réville, je vous recommande le fameux Taureau de Paul Potter, qui est, à mon sens, une des pages capitales de la peinture hollandaise. Dans cette œuvre, Paul Potter a fait mieux qu’une belle peinture d’animaux, car il a écrit avec le pinceau la véritable idylle de la Hollande. Là est exprimé l’amour profond, attentif, délicat, presque maternel du paysan hollandais pour ses bêtes. » L’idylle de la Hollande, telle est en effet la grandeur de l’œuvre de Paul Potter ; M. Réville avait raison, et n’exagérait en rien par son jugement la portée de ce tableau, laquelle est du reste si claire qu’elle s’impose d’elle-même à l’esprit du contemplateur. Paul Potter a voulu exprimer et a exprimé