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qu’il faut s’adresser pour en retrouver la poésie. Si vous faites quelques excursions aux environs de Rotterdam, ou si vous exécutez avec une curiosité sans impatience le tout petit voyage de Delft à La Haye, vous rencontrerez à chacun de vos pas les aspects de la nature que Paul Potter a transportés sur ses toiles. Entre la campagne du sud et celle du Nord-Hollande, il n’y a point, à vrai dire de différences radicales et tranchées, il n’y a que des nuances ; mais ces nuances suffisent dans un aussi petit pays pour constituer aux yeux du visiteur de véritables contrastes : à plus forte raison, les enfans de cette contrée doivent-ils sentir avec finesse les plus délicats changemens, les plus légères altérations de physionomie du paysage. Plus un pays est petit, et plus les yeux des habitans deviennent habiles à saisir ces subtiles différences ; sous ce rapport, nous ressemblons tous au rat en voyage de La Fontaine, pour qui la moindre taupinée était un mont. Cela est vrai au moral comme au physique ; un Parisien qui visitera le Berri ou le Poitou ne découvrira aucune espèce de différence entre les mœurs de tel village et celles du village voisin ; mais les paysans de la contrée, pour peu que vous les interrogiez, vous révéleront des particularités de caractères, vous raconteront des anecdotes facétieuses ou tragiques, qui vous feront apparaître leurs paisibles voisins sous un aspect presque exotique. Les peintres hollandais, obligés par l’exiguïté de leur pays de tourner sur une circonférence de quelques lieues, sont arrivés à sentir exactement comme nos paysans sédentaires. De là leur grand charme, de là aussi l’extrême attention qu’ils exigent de quiconque veut les étudier sérieusement. Les études entomologiques ne réclament pas une observation plus minutieuse ; comme ces peintres se sont attachés en effet à reproduire des phénomènes qui ne sont séparés les uns des autres que par des différences imperceptibles, il s’ensuit que les différences de leurs talens sont aussi fort délicates à établir et fort difficiles à exprimer nettement, ce qui prouve une fois de plus que l’infiniment petit est autrement long à comprendre que l’infiniment grand. O triomphe de l’humilité ! à première vue, d’emblée, vous allez saisir les caractères d’un Rubens, d’un Léonard, d’un Raphaël ; mais ce n’est pas trop de vingt visites pour comprendre les différences de talent qu’il y a entre une servante peinte par Gérard Dow et une servante peinte par Miéris, entre un paysan peint par van Ostade et un paysan peint par Téniers, ou pour pénétrer le charme propre d’un Wynants, d’un Wouvermans, d’un Karel Dujardin, d’un Hobbema.

La campagne du sud est donc celle que Paul Potter a peinte de préférence. Là, la plaine ne se présente pas comme dans le nord sous la forme d’une steppe verdoyante illimitée, elle conserve