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fortifiées, des tours, des bastions : la nature n’en avait pas fait encore l’espèce d’aimable village rustique à la façon vénitienne qui nous charme aujourd’hui. C’était alors une rude soudarde qui croyait avoir le pied solidement établi pour toujours sur la terre ferme ; cent ans après que la reine Isabelle s’y embarquait pour l’Angleterre, vint une inondation, et la pucelle de Dordrecht fut métamorphosée par cet accident en une gentille petite demoiselle noble de campagne, assise au bord des fleuves qui l’entourent de toutes parts avec jalousie.

Qui dirait, à la voir ainsi dans sa petite île, que cette ville, qui éveille des sentimens d’églogue et des rêves de vie heureuse, a été le théâtre d’une des plus âpres controverses idéologiques des temps modernes ? Quoi ! c’est dans ce nid de verdure, sur les rives de ces fleuves magnifiques, qu’ont retenti les discussions et les anathèmes des gomaristes et des arminiens ? Il y a là pour l’imagination une sorte de dissonance. Arminius fut condamné par le synode, et cela avec l’assentiment et aux acclamations du peuple ; mais en vérité ce fut la faute du parti républicain, qui manqua d’esprit en cette circonstance, et ne sut pas se servir des ressources que lui offrait l’aspect de la nature de Hollande pour la réfutation de Gomar. Il ne se souvint pas non plus assez de ses classiques, que ses chefs connaissaient pourtant si bien, et qu’ils aimaient à citer, comme fit plus tard Jean De Witt, aux heures suprêmes de l’exil et de la mort. Barneveldt, Grotius et autres auraient dû se rappeler la méthode socratique et les apologues de Ménénius Agrippa, et poser à peu près ainsi au peuple de Hollande la question de la grâce et de la liberté : « Paysans, marins, pêcheurs, meuniers, gens de peine, le doux Arminius prétend que vous pouvez vous racheter du mal par les efforts de votre liberté, tandis que le farouche Gomar prétend au contraire que tous vos mérites ne vous serviront à rien, s’il a plu à Dieu de vous damner de toute éternité. De ces deux hommes, quel est votre ami ? Quel est celui qui vient vous apporter la consolation, l’espérance, la paix de la conscience, une confiance en Dieu sans alarmes ? Quel est celui qui vous enseigne que Dieu vous regarde sans mépris de hidalgo et vous juge sans colère de roi d’Espagne ? Il semble que ce soit Arminius, et cependant nous voyons avec une douloureuse surprise que vous penchez plutôt pour Gomar, qui frappe de stérilité la moisson de vos œuvres, tient en mépris les efforts de votre liberté, et ne vous promet que terreurs de l’âme, incertitude sur le sort qui vous attend, arbitraire divin. Que le stathouder Maurice tienne pour Gomar, il n’y a pas à s’en étonner, il a trouvé l’élection sociale dans son berceau, et il lui est permis de ne pas compter sur ses mérites, qui sont grands,