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IMPRESSIONS DE VOYAGE
ET D’ART.

IV.

OUVRIERS DE FLANDRE ET DE HOLLANDE[1].



I. — DEVANT DORDECHT.

Rien n’est tranché dans le monde moral non plus que dans le monde physique, et l’esprit tout comme la nature procède par voies lentes et transitions insensibles. C’est ainsi que longtemps avant d’entrer dans un pays on est averti qu’on change de contrée par mille petits phénomènes, significatifs seulement pour l’observateur et visibles seulement pour les yeux de celui qui sait. À la station d’Esschen, une fille accoudée à une de ces hautes fenêtres encadrées de plantes grimpantes à la façon hollandaise me présente mon premier Miéris ou mon premier Gérard Dow. Même façon d’appuyer les coudes, d’avancer la tête, que chez les servantes rendues immortelles par le pinceau de ces peintres. Sur le bateau à vapeur qui nous prend au Moerdyck, je remarque qu’un des garçons de service possède la chevelure que Rembrandt a donnée à l’ange compagnon du jeune Tobie, et que les gens de l’équipage tiennent leurs pipes entre leurs dents avec une sorte de violence morose, comme un dogue tient un os, à l’instar de ces farouches magots de

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1868.