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intention, a provoqué de la part des magistrats des questions auxquelles l’accusé n’a pas pu satisfaire complètement. On lui a demandé, entre autres choses, pourquoi jusqu’alors il avait dissimulé son emprisonnement chez les cinq. — Je craignais, a-t-il dit, d’aggraver ma situation, déjà bien assez périlleuse. — On lui a demandé ensuite le nom de cet ennemi dont il redoutait la vengeance. Il a prétendu qu’un serment sacré l’empêchait de le faire connaître. Toutes ces réticences prêtent de nouvelles forces à l’accusation, que l’on croyait presque abandonnée. Ordre a été donné par la Quarantie de rechercher dans le Ghetto (quartier des Juifs) l’israélite signalé par l’accusé lui-même comme lui ayant prêté les cinquante lire. On doit de plus placarder un écrit qui menace de l’exil et de la confiscation ce prêteur encore inconnu, dans le cas où, présent à Venise, il ne viendrait pas immédiatement rendre compte à la justice des raisons qui l’ont porté à se mêler de cette obscure machination.

Même jour dans la soirée. — Comparution d’un certain Maccabeò, prêteur sur gages, natif de Brindisi, dans l’état napolitain. Il a été donné lecture de sa déposition, reçue à portes closes. Elle est comme suit : « Ser Antonio Toldo, avec qui j’avais traité quelques affaires d’importance lorsque le gouvernement contracta son dernier emprunt sur les joyaux de Saint-Marc, me vint trouver, il y a plus d’un an, et me donna ses instructions à peu près en ces termes : — J’ai quelque raison de porter intérêt à un jeune étudiant de l’université de Padoue que l’on nomme Pasquale Ziobà, et je sais qu’il est momentanément aux prises avec des difficultés d’argent, vous lui ferez offrir par un de vos confrères, sans qu’il puisse se douter que cela vienne de moi, un prêt de cinquante lire vénitiennes, mais en échange d’un reçu portant l’obligation de restituer cette somme à première demande de son créancier. Votre entremetteur promettra verbalement (et non par écrit) de ne pas exiger cette restitution avant un délai de trois mois. Voici l’argent. Je compte que mes ordres seront exécutés à la lettre et avec intelligence…

« Mes relations avec ser Antonio ne me permettaient ni refus, ni objections, ni même des questions qui eussent pu lui paraître indiscrètes. La responsabilité d’ailleurs pesait tout entière sur lui, non sur moi, qui traitais une simple affaire d’argent, dans des formes insolites, il est vrai, mais sans aucune arrière-pensée criminelle. La somme en question fut ponctuellement comptée à Pasquale Ziobà. Son reçu, portant la clause prescrite, me fut délivré. Je le transmis à messer Toldo. La semaine suivante, je reçus de lui