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« Quelque six mois plus tard, venant à passer devant le bureau de police des cinque della pace, ce nom de Ziobà, placardé sur la liste officielle des individus recherchés pour quelque délit, ne manqua point de frapper mes yeux. Pressé de me rendre au palais, je ne pouvais m’arrêter pour prendre aucune information, et me bornai à déplorer qu’un si joyeux camarade, à qui je devais quelques minutes de bon temps, fût probablement en butte aux poursuites d’un créancier importun. C’est le cas en général pour les pauvres diables inscrits sur la liste des cinq. Au sortir du palais, je passai de nouveau par le chemin que j’avais pris en venant, et du premier coup d’œil je constatai que le nom de Ziobà ne figurait plus sur la liste des arrestations à opérer. Il fallait en conclure ou que la dette avait été payée, ou que la justice avait mis la main sur le débiteur. Je voulus en avoir le cœur net. J’entrai au bureau, et demandai à quel titre s’était faite la radiation de ce nom si étrangement fixé dans ma mémoire. Oh me répondit que la police de Padoue était parvenue à se saisir du délinquant et l’avait expédié ce jour même à Venise, où on venait de l’incarcérer dans la prison des cinq.

« Je me fis indiquer son cachot, où on me conduisit sans la moindre difficulté, comme on le devait à mon rang et à mes fonctions. Pasquale ne me connaissait pas, et me prit sans doute pour quelque inspecteur des prisons. — Seigneur, me dit-il, le ciel vous envoie en ce lieu pour empêcher la perpétration d’un véritable crime. Le motif de mon arrestation est le non-paiement d’une misérable dette de cinquante lire vénitiennes qui m’ont été prêtées tout exprès, du moins ai-je lieu de le craindre, pour m’amener ici et me mettre à la discrétion de certaines personnes. Votre excellence ne doit pas ignorer qu’une fois entre ces quatre murailles, si léger que soit le délit pour lequel on est enfermé, rien ne s’oppose à ce qu’un homme y disparaisse à jamais, soit qu’on l’étouffe dans son lit, soit qu’on l’assomme au coin de quelque préau, soit qu’on mêle à sa boisson quelques gouttes d’acquetta, sans que la justice s’inquiète le moins du monde de vérifier ce qui en est. Je ne veux en rien diffamer les institutions de notre bien-aimée république ; mais, pour ce qui me touche spécialement, je me crois victime d’une abominable rancune. Un ennemi que je ne veux point nommer, me sachant pressé d’argent, m’a fait offrir ces cinquante lire par l’intermédiaire d’un juif que Dieu confonde ! En les acceptant, je ne me doutais pas qu’elles vinssent d’un homme acharné à me perdre, et je signai l’engagement de les restituer à la volonté de mon créancier. Huit jours à peine écoulés, je recevais sommation de payer. Ceci m’était impossible, et j’en fus réduit à me cacher dans les faubourgs de Padoue. Mon nom fut aussitôt affiché au bureau de police, et