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« — Comment l’oserais-je reconnaître, répondit Rocco, c’est à peine si j’ai pu l’entrevoir…, et il portait un masque.

« — En vérité, dis-je, si vous m’en donniez occasion le moins du monde, je mettrais la main sur cet homme.

« — Faites-le donc à vos risques et périls, répliqua mon acolyte. Quant à moi, je ne vois rien qui puisse m’y autoriser. Écoutez plutôt ces folies.

« En effet, les rires, les lazzi, recommençant de plus belle, écartaient toute idée funèbre, tout soupçon de crime. J’hésitai donc, et me laissai emmener plus loin, non sans quelque regret. A ma rentrée au poste de police, où je relatai à un seigneur de la nuit ce qui venait de se passer, je reçus de lui une forte réprimande. — Du moment, me dit-il, où une raison quelconque vous rendait suspect le jeune homme en question (et l’étrange nom qui lui était donné pouvait vous sembler une sorte d’indice), vous deviez l’arrêter incontinent. On en aurait été quitte pour le remettre en liberté après l’avoir interrogé de près. — Piqué de ces reproches, je repartis à l’instant même pour la taverne où j’avais laissé se perdre une si bonne occasion de montrer mon zèle ; mais le soleil était levé depuis une heure déjà, et depuis une heure la petite flotte des étudians ramait vers Padoue. »


Constatations résultant de l’examen du cadavre. — Le mort a été reconnu pour être ser Antonio Toldo, riche joaillier demeurant sur la paroisse San-Salvador. Il a reçu en pleins poumons deux chevrotines de fer qu’on a pu extraire, et qui devaient constituer toute la charge de l’arquebuse retrouvée auprès de lui. Cette arme a été mise de côté comme pièce de conviction. La chaîne d’argent que ledit Toldo portait autour de son cou et la bourse bien garnie qu’on a retirée de son pourpoint n’ayant été l’objet d’aucune tentative de vol, il semblerait probable que le meurtre commis a pour cause une vengeance, une haine quelconque. Une lettre trouvée sur le défunt indique aussi qu’un piège lui avait été tendu. Voici le texte même de cette lettre. « Messer Antonio, si vous voulez vous trouver bien exactement au coup de trois heures sur le Campo Zeno, près des Frari, un brave garçon secourable aux maris malheureux pourra vous mettre ; moyennant finance, en possession des papiers que vous recherchez avec tant de zèle. Bien que ce soient des chefs-d’œuvre, il faudra les livrer aux flammes. Au surplus, celui que vous persécutez vous pardonnera demain votre méchant vouloir. »

Ce document, joint aux précédens rapports, les vêtemens de la victime et l’arquebuse en question seront consignés en lieu sûr et