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devoirs de chrétien, ayant sa famille et ses valets autour de lui ; mais voici un trait singulier : ayant fini ce devoir, il fit appeler le curé, et lui dit qu’il ne croyait pas un mot de tout cela, que depuis longtemps il n’avait trahi la vérité qu’en cette occasion, que c’était une vile complaisance pour sa famille et pour sa maison. » Cette dernière confession n’ayant dû avoir d’autre témoin que le curé, rien ne prouve la vérité de cette histoire.

Quatorze ans après sa mort, sa famille fit imprimer un manuscrit qu’il avait laissé sous le nom d’Annales politiques. C’est le plus étendu, le meilleur de ses ouvrages, et comme le résumé de tous les autres. Il y avait rangé par ordre chronologique ses observations sur les principaux événemens et les principaux personnages de son temps. Naturellement il y parle beaucoup de Louis XIV, dont le règne remplit la plus grande partie de cette période. Les Annales commencent par un portrait de ce prince au moment où il allait régner par lui-même. « C’était grand dommage pour l’état que la reine-mère eût pris si peu de soins d’engager insensiblement le roi à fortifier son esprit par l’application aux affaires du gouvernement. On ne lui inspira aucun goût pour la lecture, pas même pour l’histoire, qui est presque le seul moyen d’instruire les rois de leurs fautes et de leurs devoirs en leur montrant les fautes et les malheurs des souverains leurs pareils. Il y avait des esprits plus pénétrans, plus vifs, plus étendus que celui du roi, il n’y en avait point qui eussent plus de justesse ; mais, faute de goût pour la lecture, il ne pouvait profiter que dans la conversation des lumières des autres. Il écoutait volontiers des faits, qu’il comprenait facilement, il les racontait même avec grâce ; mais pour les raisonnemens, surtout ceux qui supposent d’autres raisonnemens précédens, ils étaient au-dessus des forces de son esprit. Telle est la portée d’un esprit médiocre. »

Le reste du livre n’est que le développement de ce premier jugement. L’abbé montre toujours Louis XIV travaillant à s’agrandir par la guerre et à étonner le monde par son faste, mais négligeant la richesse intérieure, et ruinant ses sujets par l’immensité de ses dépenses. Il en veut surtout à Louvois, qu’il présente comme le mauvais génie de son maître. Voici comment il s’exprime sur la guerre de Flandre, la première et la plus heureuse des campagnes du roi : « Le ministre de la guerre lui fit croire qu’il était beau de se faire justice à lui-même et de prendre plusieurs villes de Flandre, comme s’il pouvait être glorieux de violer ses propres promesses. Les panégyristes ne vantaient que ses forces, sans songer que la supériorité des forces n’est louable que pour l’usage que l’on en fait avec justice, soit pour le bonheur de ses sujets, soit pour le bonheur de ses voisins et des autres nations. Or ses