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démontrer avec une bonhomie parfaite que ce célibat avait de grands inconvéniens, soit dans l’intérêt général de la société, soit dans l’intérêt de la religion elle-même, et il proposait de l’abolir par un concordat entre la France et le saint-siège.

Ce qui peut le plus faire douter de sa foi est son Discours sur le mahométisme. Il y prouve que la religion de Mahomet s’est propagée par des causes tout à fait humaines, à l’encontre de ceux qui seraient tentés de voir un prodige dans la promptitude de ses progrès. Voltaire a prétendu que cette thèse ne s’appliquait pas seulement à l’islamisme, et on ne peut s’empêcher de partager un peu cette opinion. Qui pouvait voir en France un miracle dans l’établissement de la religion musulmane ? L’abbé parle beaucoup de la puissance de l’imagination dans les pays chauds, et la Judée est trop voisine de l’Arabie pour qu’on ne puisse pas soupçonner là une arrière-pensée. Un autre de ses écrits, Explication physique d’une apparition, est consacré à en expliquer par des moyens naturels ce qui pouvait passer pour un miracle.

Dans son Projet pour perfectionner l’éducation, il se prononce pour l’éducation publique. « Au collège, dit-il, les pareils s’entre-corrigent et s’entre-polissent journellement et nécessairement les uns les autres à peu près comme les cailloux raboteux se polissent et s’arrondissent dans la mer par leur frottement journalier. » Il poussait si loin son goût pour ce mode d’éducation, qu’il voulait l’appliquer même au dauphin. Il est vrai qu’il apportait dans la pratique quelque adoucissement. « On fera, disait-il, un collège exprès pour le dauphin près du château, et on ne lui donnera pour condisciples que les enfans de la noblesse la plus choisie. » Un siècle a suffi pour que cette idée fût mise en pratique plus largement encore, et on a vu des fils de rois faire leurs études dans des collèges qui n’étaient pas seulement ceux de la noblesse. A d’autres égards, il avait devancé ce qu’on appelle aujourd’hui l’éducation professionnelle ; il voulait diminuer l’étude des langues anciennes pour ceux qui n’auraient pas besoin de la connaissance du grec et du latin, et augmenter au contraire l’étude des sciences utiles et des langues modernes. L’éducation des filles était alors fort négligée malgré l’admirable traité de Fénelon sur ce sujet. Il n’existait véritablement en France qu’un établissement qui eût cette destination, la maison de Saint-Cyr. L’abbé demandait qu’une partie des monastères de femmes se transformât en collèges pour les filles. Ces collèges devaient prendre pour modèle la maison de Saint-Cyr, « laquelle deviendrait en peu d’années chef d’ordre et d’un grand ordre très utile à la société chrétienne. » Encore un vœu de rempli par l’institution des maisons religieuses consacrées à l’éducation des filles.