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lieutenans-généraux. Dans l’organisation de sa noblesse militaire » Napoléon s’est rapproché des vues exprimées dans cette ébauche, qu’il ne connaissait probablement pas.

Les grandes capitales sont-elles favorables ou nuisibles à la prospérité d’un état ? Cette question, encore débattue de nos jours, a occupé l’abbé de Saint-Pierre, et il l’a résolue en faveur des grandes capitales. Suivant lui, le progrès de la raison et des connaissances utiles doit être plus grand dans une puissante capitale que dans un pays où la population est plus disséminée, parce qu’il se forme au centre un foyer de lumière plus éclatant. Une ville où se trouvent réunis à leur plus haut degré de perfectionnement tous les arts de la civilisation devient un modèle que chacun s’efforce d’imiter. Le commerce prend plus d’activité, le crédit peut s’établir et se répandre. « Une pareille capitale deviendra la capitale de l’Europe et la ville des nations ; la plupart des étrangers souhaiteront d’en devenir habitans, et remporteront de la nation l’idée de prééminence. » De tous ses projets, c’est celui qui a reçu la plus complète exécution ; mais on peut douter que, s’il revenait au monde, il se félicitât beaucoup de son succès en présence des résultats moraux, économiques et politiques obtenus depuis cent cinquante ans par l’application de sa théorie.

Il écrivait aussi sur les finances, et ce qu’il en dit montre qu’il connaissait à fond cette matière. Son Discours contre l’augmentation des monnaies attaque l’usage désastreux de changer le titre et la valeur, des monnaies. Il y démontre parfaitement que ce genre d’expédient, si facile en apparence, est au contraire des plus onéreux. « Nos voisins les Anglais et les Hollandais se sont trouvés aussi souvent que nous dans un très pressant besoin de trouver un subside grand et prompt, et cependant ils n’ont jamais voulu prendre ce moyen, qui se présente si facilement à l’esprit des plus ignorans. On ne peut pas dire que ce secours ne leur ait pas été proposé par des esprits superficiels qui l’avaient vu souvent pratiquer en France : ce secours fut même proposé au roi Guillaume en 1691 ; mais il fut si solidement réfuté comme désavantageux à la nation par le fameux Locke, que personne n’osa depuis le proposer au parlement d’Angleterre. » Tout le monde avait pu voir pendant le règne de Law les variations des monnaies poussées à la dernière limite, et en 1726, sous le ministère du cardinal de Fleury, la valeur de la livre tournois fut arrêtée définitivement. Elle n’a point changé depuis.

Pour les emprunts publics, il conseillait la forme des annuités, usitée en Angleterre, c’est-à-dire qu’en contractant un emprunt l’état s’engageait à payer à ses créanciers une somme fixe par an comprenant à la fois l’intérêt et l’amortissement, de manière à se