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L'ABBE DE SAINT-PIERRE

L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres ; par M. de Molinari, 1 vol. in-18 ; Guillaumin. — Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Goumy, 1 vol. in-8o ; Hachette.


I

L’abbé de Saint-Pierre naissait en 1658, au moment où allait s’ouvrir le règne personnel de Louis XIV ; il est mort en 1743, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, au moment où commençait la brillante moitié du XVIIIe siècle. Il a ainsi marqué la transition entre deux époques. Sa réputation a été grande de son temps, et aujourd’hui encore son nom est resté le symbole de l’utopie généreuse et bienfaisante ; mais on ne lit plus ses ouvrages, ou, pour mieux dire, on ne les a jamais lus à cause de sa fatigante prolixité. Il porte la peine de son dédain pour l’art d’écrire ; son mauvais style lui a fait un double tort, car la postérité ne le connaît pas sous son vrai jour, et il passe pour plus chimérique qu’il ne l’était réellement.

Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, naquit au château de Saint-Pierre-Église, près de Cherbourg, à peu de distance d’un autre château qui a donné naissance de nos jours à un philosophe également ami de l’humanité, M. de Tocqueville. Son père, Charles Castel, marquis de Saint-Pierre, était bailli du Cotentin et gouverneur de Valognes, sa mère était sœur de Mme de Villars, mère du maréchal. Le second de cinq enfans, il fut d’abord destiné au métier des armes ; mais, la faiblesse de sa complexion lui ayant interdit cette carrière, il dut se tourner vers l’église. Il eut un moment dans sa jeunesse la velléité de se faire religieux, et il a raconté