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doute qu’elle obtienne cette faveur. Tous les avocats du monde, habiles ou ardens, passionnés ou puissans, hommes d’état ou sectaires, y perdront leur peine et leur éloquence.

La question maintenant est de savoir jusqu’à quel point il importe à l’honneur de la société française, et même au maintien des droits qui lui sont chers, de poursuivre ainsi à tout prix et d’imposer à tout venant la reconnaissance théorique de la perfection de ses principes. Cette question-là dépasserait beaucoup les bornes de cette étude, et je n’ai garde de l’aborder ici en post-scriptum. Constatons seulement que d’autres nations que nous n’avons pas le droit de dédaigner ne connaissent pas ce point d’honneur. Je ne parle pas ici de l’aristocratique Angleterre : son exemple, à force d’avoir été souvent invoqué et mal suivi, a perdu de son autorité. Celui de l’Amérique en revanche est fort à la mode, et non sans raison, car en fait de libertés modernes on ne peut trouver de sol où elles fleurissent avec une végétation plus abondante, et où elles aient poussé de plus solides racines. Les principes de 89 dans leurs plus lointaines espérances ne vont pas aussi loin que la constitution américaine dans son application quotidienne. Je doute pourtant que les principes fondamentaux de cette constitution aient jamais été rédigés en formulaires métaphysiques à faire signer d’office aux récalcitrans. De même que les institutions des États-Unis n’ont point été décrétées dans une nuit d’enthousiasme, mais ont été fondées par un développement graduel et une bienfaisante expérience, de même ce sage pays tolère que ses citoyens portent à ces mêmes lois un attachement raisonné fondé sur leurs bienfaits palpables plutôt que sur leur excellence absolue. De là vient sans doute que cet attachement, né sans violence et accru par degré, est devenu commun dans tous les rangs sans distinction de classe ni de religion ; de là vient aussi qu’à l’abri d’un droit public dont le principe est très susceptible de discussion, mais dont l’avantage a été démontré par l’épreuve, toutes les consciences chrétiennes peuvent donner le spectacle d’un mélange de paix, de ferveur et de liberté que le monde n’avait pas encore connu.

On a vu, par exemple, il y a peu d’années, dans la ville de Baltimore un concile composé des quarante-sept évêques dont les diocèses embrassent la totalité de la confédération des États-Unis. Leurs décrets, leurs mandemens, les procès-verbaux même de leurs délibérations, sont publiés, et dans le gros volume que ces documens composent on chercherait vainement la trace de ces doléances monotones et de ces récriminations amères contre l’état général de la société civile qui remplissent trop souvent, de ce côté de l’Atlantique, les colonnes des journaux religieux. Sévères comme ils