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sur leur nombre, leur portée et leur sens. Il faut bien reconnaître en effet que, par divers motifs, les constituans de 1789 n’ont pu donner en pratique à leur œuvre toute la rigueur logique dont ils étaient épris, et dont ils lui ont imprimé l’apparence. Emportés dans une tourmente révolutionnaire qui ne leur a pas laissé un jour de réflexion ni de répit, à peine ont-ils pu poser quelques bases. Le loisir leur a manqué pour interpréter eux-mêmes et encore plus pour appliquer les principes par eux proclamés ; puis sont venues cinq ou six révolutions et réactions successives qui toutes ont dénaturé leur plan primitif, en sorte que le régime dont nous jouissons aujourd’hui, qui porte encore leur nom, demeure en fait un ensemble assez compliqué de parties incohérentes, bienfaisant sans doute malgré ses imperfections, mais très peu logique malgré ses prétentions, — dont la surface est ondoyante et la base mobile, — tiré en sens divers par des partis contraires, que tout le monde connaît, dont tout le monde parle, mais que personne ne peut bien définir, et dont chacun s’efforce à son gré d’étendre ou de restreindre, d’atténuer ou de fortifier tel ou tel caractère.

Il est bien entendu, par exemple, qu’on ne peut plus aujourd’hui aller chercher l’énumération des principes de 1789 dans le document originaire dont je parlais tout à l’heure, la fameuse Déclaration des droits de l’homme. Presque personne ne lit aujourd’hui cette pièce surannée, empreinte d’une légère teinte de déclamation ; ceux qui s’y aventurent s’étonnent en général de ce qu’ils y trouvent autant que de ce qui y manque : elle leur paraît à la fois excessive et insuffisante. A part cet exemplaire pourtant, je ne connais pas d’autre texte officiel des principes de 1789. Ce n’est surtout pas dans notre constitution présente qu’il faut le chercher ; cette charte bien avisée a trouvé plus commode de mentionner ces principes sans les définir, ce qui lui a permis d’en tirer des déductions tout à fait inattendues. Quelques points généraux surnagent pourtant, et sont admis par tout le monde comme les fondemens du régime nouveau. L’égalité civile, la liberté religieuse, sont au nombre des plus chers et des moins contestés ; mais la même marge est ouverte à bien des interprétations. Entre l’égalité civile comme l’entendait Royer-Collard, comportant la gradation des droits politiques et même une chambre héréditaire, et l’égalité selon le suffrage universel, quelle différence ! Est-ce bien le même principe qui se prête à deux applications si contraires ? Et en matière de liberté religieuse combien de commentaires aussi n’avons-nous pas ! Il y a l’interprétation administrative, qui ne reconnaît d’autres cultes que ceux dont l’état salarie les chefs et fixe la constitution légale, et qui soumet toute autre manifestation de la pensée religieuse à l’article