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Elle honore en eux, non pas les fondateurs de nos libertés publiques (hélas ! leur fondation en ce genre fut trop instable pour qu’un tel hommage pût leur être rendu sans dérision), mais les inventeurs d’un prototype de société qui doit tôt ou tard, pense-t-on, appeler le monde entier à la jouissance de tous les biens et de tous les droits. Quand l’occasion se présente de les imiter (et nos révolutions ramènent assez fréquemment cette occasion-là), c’est cela et surtout cela qu’on imite. La constituante nouvelle que nous avons vue à l’œuvre il y a vingt ans ne se serait pas crue la digne fille de sa devancière, si elle n’avait mis, elle aussi, en tête de son œuvre éphémère un préambule formé presque uniquement d’une série d’axiomes de philosophie.

N’examinons pas si cette hauteur de vues, trop en contraste peut-être avec les bornes étroites de l’esprit humain et les tristes nécessités de la politique, nous a procuré en réalité autant d’avantage que de renommée. Ne nous demandons pas si, comme de prodigues philanthropes, pendant que nous faisions les affaires du genre humain, nous n’avons pas un peu négligé les nôtres. Il m’en coûterait trop de jeter le moindre blâme et de déverser l’ombre d’un ridicule sur de nobles et chères mémoires. Si cette recherche aventureuse du bien absolu fut une illusion chez nos pères, ce fut l’erreur des plus belles âmes, à qui nous devons non-seulement du respect, mais une admiration filiale. La seule chose que je me permettrai donc de faire remarquer, c’est que ce cachet philosophique, imprimé sur toutes nos lois, et qui a passé de là dans nos mœurs et dans notre langage, apporte une complexité jusque-là sans exemple dans les rapports d’un état et d’une société avec la religion chrétienne et même avec une religion quelconque. Autre chose est en effet pour une religion de vivre en paix avec des institutions politiques qui n’ont que la prétention modeste d’être des faits nationaux, passagers, appropriés à certains temps et à certains pays, fondés sur des droits écrits et des intérêts positifs, autre chose de rendre hommage et d’apporter sa consécration à un exemplaire soi-disant idéal et achevé de toutes les sociétés futures et possibles. Dans un cas, c’est une bonne grâce qui n’engage à rien, qui ne tire pas à conséquence pour la conduite à tenir ni le lendemain, ni l’année suivante, ni de l’autre côté d’un fleuve et d’une montagne ; dans l’autre, c’est une adhésion à des principes généraux et constans, universels et éternels, qui veulent être appliqués partout et toujours, et qui, une fois admis comme tels par la religion, exigeront qu’elle leur prête en tout temps et en tout lieu le concours de son autorité. La complaisance prend ainsi le caractère d’un engagement à perpétuité, et même avec effet rétroactif.

Une telle conséquence doit paraître grave surtout à l’église